La loi sur l'eau perdue dans les sables - Voynet tient pourtant à faire payer les agriculteurs pollueurs
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La loi sur l'eau promise par la ministre de l'Environnement, Dominique Voynet, depuis mai 1998, est-elle définitivement coulée ? Mardi, Claude Truchot, haut fonctionnaire à la direction de l'eau du ministère de l'Environnement, a publiquement reconnu au cours d'un colloque organisé sur le sujet par France Nature Environnement (FNE, qui fédère la plupart des associations de protection de l'environnement en France), qu'il faudrait un «miracle» pour que ce texte soit adopté «durant la présente législature».
Le fait est que cette loi qui vise à faire payer à chacun, consommateurs, entreprises et agriculteurs, d'une part l'eau qu'il consomme, d'autre part celle qu'il rejette, a connu bien des vicissitudes. «Le débat sur la réforme de la loi sur l'eau a été engagé il y a trois ans», a rappelé Dominique Voynet en clôture de ce même colloque. «Il s'agit de la dix-septième version du projet de loi», a soupiré Jean-Louis Courtoux, administrateur de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA). «La loi était rédigée depuis plus d'un an. Les arbitrages ont été longs et difficiles, ce qui explique le retard pris», a souligné la ministre.
Certains points du texte ont fait l'objet d'un bras de fer qui se poursuit avec certains lobbies. En tête : la redevance sur les excédents d'azote. A priori, la logique de cette taxation est incontestable. Lorsque les producteurs épandent des engrais ou des lisiers, ceux-ci fertilisent les terres quand ils sont absorbés par les plantes, mais se transforment en nitrates quand il y en a trop, et migrent dans les cours d'eau. Résultat : dans certaines régions comme la Bretagne, l'eau est tellement polluée qu'elle n'est plus potable. Or, si les agriculteurs polluent beaucoup, ils paient peu. Alors qu'ils utilisent 69 % de l'eau consommée en France, ils n'acquittent que 5 % de la redevance prélèvement à laquelle tout consommateur d'eau est soumis. Quant à la redevance pollution, elle était payée jusque-là à 85 % par les particuliers et à 15 % par les industriels.
(...)Autre point sensible : la redevance sur les rejets de radioéléments. Les entreprises de l'industrie nucléaire y auraient été soumises, et particulièrement la Cogema. Le lobby nucléaire a-t-il eu raison contre Voynet ? «Pour des raisons qui n'ont pas été expliquées, [ce] projet de taxation a été abandonné», regrettait FNE mardi.
Troisième point sensible : la part fixe de la facture d'eau, cette somme forfaitaire réclamée au consommateur quelle que soit la quantité d'eau qu'il a effectivement utilisée. Depuis trois ans, la Confédération du logement, de la consommation et du cadre de vie (CLCV) réalise une enquête annuelle sur le montant de cette partie fixe. Et les résultats sont éloquents : tandis que certaines communes ne la prélèvent pas ou y ont renoncé, d'autres exigent jusqu'à 1 500 francs par an, une somme qui peut être très supérieure à la quantité d'eau réellement consommée. La CLCV milite pour la suppression de ce prélèvement. Les distributeurs d'eau et les communes sont favorables à son maintien. Et ils ont été entendus puisque le projet de loi reconnaît cette pratique même s'il l'encadre, ce qui est une manière de la «légaliser», regrette la CLCV.
Malgré ces critiques, les environnementalistes soutiennent ce texte. Et souhaitent qu'il soit adopté. Comme Dominique Voynet, qui en avait fait l'un des enjeux de son ministère et qui voulait le défendre avant de quitter le gouvernement à la fin du mois de juin. Mardi, la ministre a annoncé que le projet de loi sur l'eau pourrait être présenté au Conseil des ministres le 13 juin, et au Parlement à l'automne. Un délai un peu court pour qu'il soit adopté avant les élections de 2002. A défaut, c'est la loi de 1992 qui continuera de s'appliquer. Reste que ce dernier texte pose un problème. Son fondement est inconstitutionnel. A plusieurs reprises, le Conseil d'Etat a rappelé que les redevances devaient être votées par le Parlement. Or, depuis une loi de 1964, ce sont les agences qui en fixent le montant. Et cette anomalie pourrait donc se prolonger..
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