Un juge invoque la "carence massive" en logements sociaux pour accorder un sursis à des squatteurs
:
Le tribunal de grande instance de Marseille a ordonné, vendredi 16 mars, l'expulsion de 200 squatteurs qui s'étaient installés dans des locaux appartenant aux hôpitaux de la ville. Cette décision est toutefois assortie d'un sursis d'un an, en raison de "la carence massive en matière de logement social" que cette occupation semble révéler. Le magistrat dénonce également l’« inadéquation préoccupante » du marché du logement.
Tout avait commencé par une opération coup de poing, lancée à la mi-février par Droit au logement (DAL). Une cinquantaine de familles, issues des quartiers déshérités de la cité phocéenne, pénétraient dans les locaux d'un organisme HLM – Habitat Marseille Provence – et demandaient à être relogées dans des conditions décentes. Chassées des lieux par les forces de l'ordre, elles décidaient alors de camper à proximité. Le bivouac a duré une quinzaine de jours. Le 2 mars, elles repassaient à l'action et s'installaient dans un immeuble de l'Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM).
Ancien siège de la direction générale de l'établissement public, ce bâtiment était inoccupé depuis 1994 ; un temps, il fut envisagé d'y aménager "un conservatoire du patrimoine médical des hôpitaux de Marseille". Le projet capota : "Nos demandes de subventions ont été rejetées", précise-t-on à l'AP-HM. Depuis lors, celle-ci cherchait à louer l'édifice. Elle se retrouve aujourd'hui avec, sur les bras, 200 squatteurs, qu'elle a assignés en référé devant le TGI de Marseille, le 7 mars.
Dans son ordonnance, le tribunal de grande instance en vient tout d'abord à analyser la situation sociale des familles : la plupart d'entre elles demandent sans succès, parfois depuis des années, un logement HLM, alors même qu'elles sont solvables, insiste-t-il. Pour sortir de cette impasse, elles ont procédé à une "autoréquisition", selon la terminologie du DAL ; leur coup de force met au jour des dysfonctionnements qui étonnent le juge : "On ne peut (…), écrit-il, qu'être confondu de constater qu'en plein hiver à Marseille 200 personnes, dont 143 enfants, soient amenées à investir un immeuble vide pour disposer d'un toit, ce qui semble révéler soit une carence massive en matière de logement social, de protection de l'enfance, de santé, de salubrité, voire même, à plus long terme, de sécurité publique, soit une inadéquation préoccupante entre l'offre de logements vides et la demande (…)."
Cela étant, les intérêts de l'AP-HM ont bien été lésés dans cette affaire.
L'occupation de l'immeuble par 47 familles "sans droit ni titre" viole le droit de propriété et constitue un "trouble manifestement illicite". Mais le préjudice subi par l'Assistance publique n'est pas l'unique paramètre que le juge retient dans son raisonnement.
D'abord, rappelle-t-il, les quelque 200 squatteurs ont également des intérêts à faire valoir : le droit au logement, qui est "tout aussi fondamental" que le droit de propriété, et que la "collectivité" – pouvoirs publics et bailleurs sociaux – n'a, en l'espèce, pas su garantir. En outre, estime-t-il, l'AP-HM donne le sentiment de s'être bien peu intéressé à son bien : "(...) L'immeuble est inoccupé depuis 1994 et il est par ailleurs constant qu'aucun projet sérieux et démontré ne le concerne dans la stratégie immobilière ou financière de son propriétaire."
Par ailleurs, rappelle le TGI de Marseille, la justice peut accorder des délais renouvelables excédant une année à des squatteurs "dont l'expulsion aura été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne pourra avoir lieu dans des conditions normales".
Ainsi, en s'appuyant sur cette disposition du code de la construction et de l'habitation, et "compte tenu des caractéristiques sociales des occupants, (…), de la situation locale calamiteuse qu'ils démontrent, du trouble qui résulterait de leur remise à la rue", le juge ordonne leur expulsion mais les autorise à rester dans les lieux pendant un an. Au terme de ce délai, un nouveau sursis pourra leur être accordé, "en fonction des situations (...) des occupants, au regard des perspectives de relogement" et des projets immobiliers de l'Assistance publique sur son immeuble…
|