Anne-Claire Davy et Renaud Roger, respectivement chargée d'études Habitat et modes de vie et économiste urbaniste à l'IAURIF (Institut d'aménagement et urbanisme de la région Ile-de-France), se sont penché sur les implications de la mise en oeuvre du nouveau mantra des pouvoirs publics et des chargés de politique du logement dans les grandes collectivités : de nombreux bureaux ne trouvant plus preneur et où la construction neuve ne suffit pas à satisfaire les besoins, transformons les bureaux vacants en logements ! Cette idée, loin d’être récente, figure sans surprise en bonne place dans le projet de loi "ELAN" comme un levier pour contribuer au choc d’offre...
Les dispositions incluses dans le projet de loi visent à améliorer l'équilibre économique des opérations de reconversion afin de les faciliter : en augmentant les recettes grâce à la possibilité donnée aux collectivités d'accorder des bonus de constructibilité jusqu'à 30% de la surface totale existante, ou en réduisant les dépenses liées à l’opération grâce à d’autres dérogations au PLU en matière de stationnement ou de mixité sociale (lorsque la commune ne fait pas l’objet d’un arrêté de carence en logements sociaux). La conversion doit permettre de revendre les logements créés à des particuliers (accession ou investissement locatif) ou bien à des investisseurs en résidences jeunes ou séniors. C'est probablement dans ce secteur que les reconversions sont les plus intéressantes économiquement, c’est-à-dire là où les valeurs résidentielles ont creusé l’écart avec le bureau : dans le centre et l’ouest de l’agglomération, dans des quartiers urbains en dehors des centres d’affaires, des zones d’activités et des quartiers défavorisés.
Sur le papier, on dénombre quelque 4,5 millions de m² de bureaux disponibles à un an (Chiffre BNP Paribas Real Estate) en Île-de-France, sans compter les bureaux vacants mais hors marché. A 75 m² en moyenne par logement, la vacance de bureaux représente un potentiel théorique de 60.000 logements en Île-de-France. Dans le détail pourtant, seule une frange de ce parc vacant constitue un gisement réellement mobilisable de transformation en logements !
Tout d’abord, 25% de l’offre disponible est constituée de surfaces dites de première main, c’est-à-dire neuve ou restructurée. "Leur changement d’usage semble prématuré et peu pertinent dans un contexte où la demande de bureaux est forte pour les produits neufs", suggèrent les auteurs. Par ailleurs, la mutation de surfaces de bureaux en logements telle qu’elle est portée par la loi ELAN concerne des immeubles entiers. Or, la très large partie de l’offre disponible est constituée de plateaux au sein d’immeubles déjà occupés. "Très souvent, cette vacance résiduelle ne justifie pas, d’un point de vue économique, l’éviction des locataires en place et un projet de transformation de l’ensemble de l’immeuble. Surtout, rapporté à l’échelle du parc de bureaux francilien de 54,2 millions de m², premier parc tertiaire d’Europe, le taux de vacance régional demeure maîtrisé, autour de 6%, et est orienté à la baisse", constatent-ils.
Autre fait notable, pris dans son ensemble, le marché des bureaux n’est pas dans une situation de surabondance de bureaux vacants. S’il est difficile de déterminer quel serait le taux de vacance d’équilibre du marché francilien, il convient de garder à l’esprit qu’un certain niveau de vacance est sain pour assurer la fluidité du marché et le parcours résidentiel des entreprises. Les professionnels du secteur ne manquent ainsi pas de pointer, parfois avec excès, la pénurie de bureaux qui guette certains marchés. "Le potentiel de transformation de bureaux en logements diffère donc suivant les secteurs géographiques et est intimement lié aux dynamiques locales. Ainsi, l’hypercentre très accessible en transports en commun et les quartiers très urbains sont largement plébiscités".
Ainsi, si l’offre vacante dans Paris intra-muros s’établit à plus de 400.000 m², elle ne représente qu'un taux de vacance de 2,5%, inférieur au seuil nécessaire pour la fluidité du marché. "Le gisement dans Paris, principale zone tendue en matière de logements, ressort donc comme limité", constatent les auteurs.
Dans les Hauts-de-Seine, autour de La Défense, dans la Boucle Nord de Seine et le secteur Grand Paris Seine Ouest, la vacance est certes plus importante (respectivement 14, 16 et 9%), avec une part importante d’immeubles d’ancienne génération. Mais la demande des entreprises est très forte pour ces territoires et le niveau de construction de bureaux élevé. "Dans les années à venir, miser sur la rénovation du parc ancien pour développer le marché des bureaux neufs pourrait se révéler plus attractif que sa transformation en logement", abondent-ils.
Il n'y a véritablement que sur les autres marchés de première et deuxième couronne que la vacance est plus structurelle, c’est-à-dire constituée de bureaux sur le marché depuis plusieurs années. 30% à 40% des surfaces disponibles dans ces territoires sont sur le marché depuis plus de 4 ans. Pour les auteurs, "cette offre est non seulement confrontée à l’accélération de l’obsolescence des immeubles mais pâtit surtout de l’appétence renforcée des entreprises pour les localisations centrales". En conséquence, cette vacance structurelle constitue le principal gisement de transformation de bureaux en logement, et c'est principalement la cible des mesures incitatives proposées par la loi "ELAN". Car dans ces territoires, les prix immobiliers résidentiels sont sans commune mesure avec ceux du centre et de l’ouest parisien ce qui rend l’équilibre économique des opérations plus difficile à atteindre, et demande à être aidé.
De fait, ces mesures répondent à la demande des acteurs économiques soucieux de valoriser leur patrimoine vacant. Mais dans ces territoires, la transformation respecte-t-elle les enjeux urbains ? Les auteurs font remarquer que la désaffection pour l’offre de bureaux proposée résulte autant de l’obsolescence des immeubles que de la localisation des bureaux : la mono-fonctionnalité des quartiers, l’absence de services, la mauvaise desserte en transports en commun ou bien encore la vétusté des espaces publics ! Or ces handicaps pèsent aussi sur la demande résidentielle !
Du coup, deux options se dessinent. La première est d'envisager des conversions vers des produits spécifiques dédiés à des publics captifs (hébergement d’urgence, résidences étudiantes, médicalisées…). L’expérience montre en effet qu’une part significative des opérations menées à ce jour s’oriente inévitablement vers ce type de résidences tant pour des raisons techniques (divisions en cellules plus aisées qu’en logements familiaux) que de meilleure rentabilité financière. "Mais ces opérations ne répondent qu’à une portion de la demande en logement et, surtout, il est difficilement souhaitable de les voir se développer dans des zones enclavées, parfois en manque d’aménités urbaines", suggère l'étude.
La seconde voie serait de mener de véritables projets urbains qui intègrent les attentes de la population en termes de desserte, de services et de qualité urbaine. Mais dans ce cas on se heurte aussi au souci des collectivités locales de préserver une offre immobilière d’activités pour se prémunir d’une trop forte spécialisation résidentielle de leur territoire. Autre obstacle : de tels projets demeurent coûteux car ils impliquent une intervention à une échelle plus vaste que celle du bâtiment. Or les mesures proposées par la loi ELAN restent à ce niveau...
On le voit, les bureaux vacants sont loin de représenter l'eldorado auquel certains voudraient faire croire, et la réalité est toujours plus complexe quand on la regarde de près que l'idée qu'on s'en fait dans les cabinets ministériels !
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