Huit ans après avoir publié un rapport intitulé "Le patrimoine des ménages" (2009), le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), rattaché à la Cour des Comptes, a consacré ses travaux de l’année 2017 aux prélèvements sur le capital des ménages. Cette étude porte sur l’ensemble des prélèvements fiscaux et sociaux sur la détention, les revenus et la transmission d’éléments de capital des ménages, hors prélèvements acquittés par les entreprises sur leur capital, taxe d’habitation et prélèvements sur les travailleurs indépendants. Les commentaires de ce rapport ont été abondants concernant sa première partie, à savoir l'inventaire des prélèvements subis par les détenteurs de patrimoine, et presque pas sur les propositions pourtant novatrices qui y sont formulées (1).
Fin 2015, le capital net des ménages représentait près de 11.000 milliards d’euros contre 5.000 milliards d’euros en 2000, soit une augmentation de près de 71%, hors inflation ! En 15 ans, le patrimoine a progressé plus vite que les revenus des ménages, qui n’ont augmenté que de 17%. Leur patrimoine, net de leurs dettes, est ainsi passé de 5,6 années de revenu disponible en 2000 à 8,3 années en 2015. Bien entendu, les inégalités se sont fortement creusées pendant cette période.
Jusqu’au 31 décembre 2017, les prélèvements sur le capital des ménages ont consisté en six impôts principaux, prélevés tant sur la détention de patrimoine – taxe foncière et impôt de solidarité sur la fortune –, sur la perception des revenus qu’il génère – soumis à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux – que sur sa transmission, à titre gratuit (droits de succession et de donation) ou onéreux (cessions). Le rendement budgétaire des prélèvements sur le capital des ménages s’est élevé à 80 milliards d'euros en 2016, soit 3,6% du PIB, en hausse de 0,6% du PIB sur le niveau de 2006.
La loi de finances pour 2018 comporte deux réformes d’ampleur des prélèvements sur le capital des ménages : d'une part les modalités d’imposition des revenus mobiliers sont simplifiées par l’instauration d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU), portant sur les revenus de capitaux mobiliers et les plus-values mobilières, dite la "flat tax", dont les revenus fonciers et plus-values immobilières sont exclus, et d'autre part le remplacement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par un impôt sur la fortune immobilière (IFI), au même barème et avec le même seuil d’entrée (1 300 000 €) que l’ISF.
Le diagnostic du CPO s'est porté sur l’impact du système de prélèvements sur le capital des ménages autour de trois thématiques : l’orientation de l’épargne des ménages vers les entreprises, notamment vers l’investissement en fonds propres ; la réduction des inégalités patrimoniales dans un contexte de relative atonie de la croissance du PIB, des prix et des salaires ; la prise en compte des évolutions démographiques, au premier rang desquelles l’allongement de la durée de vie.
Les objectifs assignés aux prélèvements sur le capital, nombreux et parfois contradictoires, peuvent être groupés en trois catégories : impact économique ; équité sociale, intergénérationnelle et géographique ; rendement budgétaire. Ces objectifs varient selon le type de prélèvement, sur la détention, les revenus ou la transmission du patrimoine.
Le CPO propose 10 grandes orientations :
1. Renforcer la prévisibilité des prélèvements obligatoires sur le capital des ménages, notamment par le recours aux clauses dites "de grand-père" permettant de maintenir, de manière définitive ou pour une durée déterminée suffisante, le régime fiscal existant pour les situations en cours, l’application limitée des modifications de régime aux opérations effectivement nouvelles, et leur mise en œuvre avec une période de transition suffisante afin de permettre aux ménages de s’adapter.
2. Réexaminer le régime des plus-values immobilières en remplaçant l’abattement pour durée de détention par un correctif monétaire.
3. Unifier le régime fiscal des locations meublées et celui des locations nues, dont la disparité de traitement ne se justifie pas et qui conduit à une inflation d'offre de meublés dans les grandes métropoles, destinés aux étudiants aisés, cadres et expatriés à haut niveau de vie, au détriment du logement des ménages.
4. Réviser (on pourrait dire enfin !) les valeurs locatives des locaux d’habitation, pour la détermination de l’assiette de la taxe foncière payée par les ménages, en tirant les enseignements de l’expérimentation conduite par la DGFiP. A long terme, étudier le remplacement de la valeur cadastrale par la valeur vénale. Cela permettrait de rapprocher l’assiette immobilière de la taxe foncière de celle de l’IFI. Une telle réforme entraînerait aussi un changement dans le mode de gestion de l’impôt, la valeur vénale étant déclarée par le contribuable.
5. Afin de contribuer à fluidifier le marché immobilier et de favoriser la mobilité géographique des personnes, alléger les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), en prenant en compte l’exigence du maintien des ressources des collectivités territoriales : pour cela, plusieurs options sont envisageables : différencier les droits exigibles pour l’achat de la résidence principale (via un abattement d’assiette ou un taux adapté), introduire une progressivité des droits en fonction de la valeur du logement, ou encore transférer progressivement les DMTO sur la taxe foncière...
6. Abaisser les plafonds de versement des livrets d’épargne réglementée (LA, LDD, LEP, LJ) en reconsidérant le niveau cumulé de défiscalisation.
7. Réexaminer les taux et les abattements dérogatoires applicables aux revenus des contrats d’assurance vie, au titre des nouveaux versements.
8. 9. et 10. Renforcer l’attractivité des donations aux jeunes générations par rapport aux successions, permettant d'atténuer la dynamique de concentration du capital. En effet, le double phénomène, observé au cours des dernières décennies, de hausse de la valeur et de concentration accrue du patrimoine net des ménages devrait se poursuivre du fait d’une hausse de la part de l’héritage dans le revenu disponible des ménages. En l’espace de trente ans, le rapport patrimonial entre les générations s’est renversé : en 1986, le patrimoine net médian des trentenaires était 45% plus élevé que celui des plus de 70 ans ; en 2015, il est trois fois plus faible. Alors que le patrimoine médian net des quadragénaires était relativement proche de celui des 60-69 ans en 1986, il est aujourd’hui deux fois plus faible. Les sexagénaires sont depuis 2010 la catégorie d’âge la plus dotée en patrimoine...
S’il n’est pas envisageable de rehausser les droits en ligne indirecte, déjà parmi les plus élevés de l’OCDE, d’autres orientations peuvent être envisagées : poursuivre la réduction de l’avantage successoral de l’assurance-vie, remettre en cause certaines exonérations partielles ou totales au terme d’une revue de leurs effets, (bois et forêts, parts de groupements forestiers ruraux, œuvres d’art, etc.).
A noter aussi que le droit actuel ne prend pas en compte la hausse du nombre de familles recomposées. Il pourrait être envisagé selon le CPO, à droit civil constant, de prévoir que la transmission aux enfants du conjoint, par voie de donation ou de testament, s'opère à des conditions fiscales plus favorables que les conditions actuelles : soit dans les mêmes conditions que les héritiers en ligne directe, soit à défaut à des conditions moins rigoureuses que l'actuelle imposition au taux de 60%. Ainsi serait prise en compte, du point de vue fiscal,la réalité des relations nouées à l'intérieur d'une famille recomposée, réalité démontrée par la volonté de transmettre du donateur ou du testateur.
C'est là que le rapport est le plus novateur. Au-delà de ces évolutions, il suggère une refonte plus radicale de l’imposition des transmissions pour atteindre l'objectif de freiner la concentration des patrimoines. Aujourd’hui, note le CPO, les droits de mutation à titre gratuit (DMTG), sur les donations et les successions, relèvent d’une fiscalité réelle, taxant chaque transmission de biens, et non personnelle ; ils ne prennent donc pas en compte l’ensemble des montants reçus par chacun au long de sa vie. Il s’agirait donc de construire une fiscalité des transmissions centrée sur l’héritier, en faisant dépendre le taux applicable au montant des transmissions reçues tout au long de la vie, et non plus à chaque transmission. A chaque nouvel héritage, le montant à payer dépendrait donc des sommes déjà reçues par l’héritier, et non de la somme transmise par le seul défunt. Aujourd’hui en effet, une personne qui reçoit une somme donnée lors d’une succession doit s’acquitter de droits supérieurs à celle qui reçoit cette même somme distribuée en plusieurs héritages différents (par exemple deux fois 300.000 euros contre une fois 600.000 euros). Ce système inciterait les détenteurs de patrimoine à le transmettre à ceux qui en ont peu reçu jusqu’alors, et freinerait l’accumulation du capital de ceux qui ont déjà perçu plusieurs héritages en prenant en compte les transmissions passées...
(1) Cour des Comptes - Conseil des prélèvements obligatoires - Janvier 2018 : "Les prélèvements obligatoires sur le capital des ménages"
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