Près de 700.000 personnes privées de domicile personnel, dont 141.500 vrais "SDF", 56.000 en résidences sociales de fortune et hôtels, 85.000 en habitations de fortune (cabanes, camping ou mobil home...), mais aussi 2,1 millions de personnes privées de confort et 800.000 en surpeuplement "accentué", sans compter les 52.500 "gens du voyage" qui ne peuvent accéder à une place dans des aires d'accueil aménagées : tel est le tableau dressé à nouveau par le 19ème rapport de la Fondation Abbé Pierre, présenté à 2.000 participants le 31 janvier, la veille du 60ème anniversaire de l'appel du 1er février 1954...
Il faut y ajouter 5 millions de personnes fragilisées par rapport au logement : 729.000 habitants dans une copropriété en difficulté, privés de services élémentaires (356.686 logements), 1,2 millions de locataires (près de 500.000 ménages) en impayé sous la menace d'expulsion, et 3,2 millions de personnes en situation de surpeuplement "au sens large" ou en hébergement "contraint"...
D'autres encore sont menacés de précarisation de leur logement : 1,1 millions de logements sont répertoriés dans des copropriétés potentiellement fragiles, susceptibles de basculer en copropriétés en difficulté. Or on sait que ces dernières sont de plus en plus les réceptacles du mal logement : s'y retrouvent - locataires comme copropriétaires - beaucoup de ceux qui ne peuvent se loger ailleurs : parce qu'ils ne trouvent pas de place en logement social, qu'ils ne peuvent avoir accès au logement locatif privé et/ou qu'ils ne peuvent acheter ailleurs... Dans ce chapitre, la Fondation a croisé les typologies des copropriétés et de leurs habitants. Il ressort de cette analyse que les occupants des copropriétés dégradées sont en grande majorité des personnes seules et vieillissantes, ce qui augmente encore plus la fragilité de leur situation...
Bien entendu ces chiffres ne s'additionnent pas toujours, certains cumulant plusieurs précarités. Parmi tous ceux-ci, mais pas seulement, 3,8 millions de ménages sont en situation de précarité énergétique dans leur logement (8 millions de personnes), 70.000 ménages propriétaires ou accédants à la propriété sont en impayé de crédit ou de charges, 91.180 ménages étaient en 2011 en instance d'expulsion, et parmi tous ceux-là, 1,7 millions de ménages sont en attente d'un logement social...
Au total, la Fondation Abbé Pierre, après élimination des doubles comptes, estime à près de 10 millions de personnes le nombre de ceux qui sont touchés aujourd'hui en France de près ou de loin par ce qu'on appelle la "crise du logement", à savoir une situation cumulant la pénurie de logement accessible, la cherté dans les zones tendues et une série de motifs de précarisation des ménages à l'égard du logement.
Cette crise n'est pas sans conséquence sur l'ensemble de la société et l'économie. Elle entretient un double lien avec l'emploi : "sans travail pas de logement, mais sans logement pas d'emploi" ! Ce raccourci illustre le frein que créent les difficultés de logement au développement économique et social et réciproquement. D'un côté, à coups de CDD, intérim, ou contrats précaires, 50% des moins de 25 ans sont soumis au "travail en miettes" (13 % pour le reste de la population) et de la même manière, ils sont confrontés les premiers au problème du logement : difficulté à se loger dans les grandes villes chères où les plus petites surfaces sont les plus inabordables.
Mais en retour, le manque de logements accessibles gêne le recrutement des entreprises et le coût du logement dans certains secteurs empêche toute modération salariale. Le logement est devenu le 1er poste de dépense des ménages. Il a un impact très fort sur les restrictions budgétaires. Ce taux d'effort qui atteint 40% pour une part non négligeable d'entre eux et entraîne des privations en forte hausse (santé, nourriture, chauffage…). Ce qui n'est pas sans conséquence sur la consommation et l'atonie du marché intérieur. L'étalement de l'urbanisation, l'éloignement des bassins d'emploi augmentent non seulement les coûts de transport mais également les coûts indirects (santé, vie de famille….). Une enquête récente du Credoc souligne que 2 millions de personnes ont refusé un emploi car il signifiait pour elles un déménagement avec un surcoût trop important et/ou trop de temps de transport.
Le logement peut aussi devenir un obstacle à l'emploi : la ségrégation spatiale joue un rôle de plus en plus reconnu dans l'accès à l'emploi. Le lieu de résidence augmente du simple au triple les chances d'avoir un travail.
La production de logements est une des solutions, mais elle est malheureusement de long terme. En attendant, il faut mobiliser et mieux allouer le parc existant, quitte à réguler certains mécanisme de marché qui conduisent à l'inflation des prix et des loyers, et à l'exclusion du parc privé de populations croissantes. De surcroît, la quantité ne suffit pas : encore faut-il produire là ou il faut et ce qu'il faut. Pour des raisons multiples, le parc privé ne suit pas. Les ventes de logements des promoteurs et des constructeurs de maisons individuelles sont au plus bas : la faute non pas au gouvernement actuel et sa politique de régulation du marché, mais d'abord à la crise économique, aux conditions de financement plus sévères, et à la diminution de l'appétence pour l'investissement immobilier du fait de la disparition de l'espoir de plus-values rapides comme on les a connues ces dernières décennies.
Reste le logement social, dont l'effort de construction a redoublé. Ce qui au passage sauve pas mal de promoteurs. Autre bonne nouvelle : la part des logements très sociaux (PLAI) est passée de moins de 10% de 2001 à 2006, à 20% en 2011 et désormais à plus de 25% en 2013. Mais la part de la production en zones tendues peine à augmenter. C'est évidemment dans ces zones que les terrains sont les plus rares et les plus chers.
La responsabilité des maires et des collectivités est à ce sujet cruciale. Au moins une enquête, réalisée par Ipsos pour la fondation auprès de 200 élus de communes de 3.500 habitants et plus, montre que les élus sont plus préoccupés que leurs électeurs par le mal-logement, dans leur commune et au niveau national.
91% d'entre eux pensent que le logement est un problème important ou très important dans leur commune (en particulier les maires des communes supérieures à 20.000 habitants). Parmi les multiples enjeux en matière de logement au sein des communes, la lutte contre le mal-logement arrive en tête : 57% des élus la jugent d'ailleurs prioritaire.
De fait, le mal-logement est considéré comme un problème important, que ce soit au niveau national (à 94%) ou dans les communes (à 55%). En outre, les situations de mal-logement jugées les plus problématiques sont la précarité énergétique (68%) - un problème qui se pose avec une acuité particulière en cette période hivernale – et le manque de logements sociaux (58%). Entre un tiers et la moitié des élus considèrent également comme des problèmes importants la mauvaise qualité du parc privé (46%), les loyers impayés et les retards de remboursement (43%), ou l'hébergement d'urgence (38%).
Si les élus s'estiment au coeur de l'action dans la lutte contre la mal-logement dans leur commune, ils en appellent néanmoins à l'État et aux intercommunalités pour endosser la responsabilité et l'organisation de cette action. Ainsi, seuls 19% des élus estiment que c'est à la municipalité de traiter les questions de mal-logement : les élus semblent donc prêts à agir mais ils ont besoin d'un cadre pour le faire. Pour autant, seul près d'un élu sur quatre pense que la politique du logement (38%) et du mal-logement plus particulièrement (40%) va dans le bon sens, avec des clivages très marqués entre les élus de droite et ceux de gauche. Ils attendent avant tout des mesures pour éradiquer l'habitat indigne (76% jugent cette mesure prioritaire), maîtriser le coût du logement (53%) et développer des réponses d'hébergement pour les plus défavorisés (46%)...
|