Selon le réseau d'agents immobiliers Century 21, la part des investisseurs dans les transactions de l'immobilier ancien s'est encore dégradée de 5,8% sur l'ensemble du territoire entre les troisièmes trimestres 2013 et 2012. Cette tendance à la baisse s'observait déjà dans les chiffres du réseau, rappelle Century 21 France, durant les six derniers mois de 2012. Ce recul est encore plus marqué à Paris où la part des investisseurs dans les acquisitions chute de 10,7% entre les troisièmes trimestres 2013 et 2012 ; en Ile-de-France, la baisse est de 6,2% en douze mois. Les départements des Yvelines et de l'Essonne sont particulièrement touchés avec des baisses de -14,5% et -29,8%. Enfin, la proportion des cadres supérieurs et professions libérales - les plus à même d'effectuer un placement dans la pierre à titre locatif compte tenu des prix prohibitifs de l'immobilier, nous dit Century 21 - s'effondre de 46% sur douze mois.
Vu comme cela, cette situation de fuite des investisseurs" est effectivement "inquiétante" comme titre le site Votre argent". Sauf que la présentation est pour le moins orientée ! En effet, ce ne sont pas les transactions attribuées aux investisseurs qui chutent ainsi "lourdement", mais la "part des investisseurs" dans les transactions globales, dont le volume est selon le réseau plutôt en redémarrage. Or cette part était globalement France entière en moyenne de 17,3% sur l'année 2012. -5,8% de cette part la fait passer de 17,3% à 16.29%, donc une chute en volume de moins de 1%... De surcroît, Century 21 France tient ses chiffres de la remontée des déclarations de transactions des agences du réseau. Si cette remontée peut être considérée comme fiable dans la mesure où elle conditionne la redevance facturée aux agences franchisées, l'indication quant à l'objet de l'acquisition (résidence, investissement locatif) l'est probablement nettement moins, cet objet n'ayant pas d'influence sur le traitement juridique de la transaction...
Mais pour les dirigeants du réseau, auteurs du communiqué repris par les médias, il n'y a pas de doute : si le nombre d'acquisitions à titre de placement ne cesse de chuter depuis plusieurs mois dans l'ancien, la faute est au projet de loi baptisé "ALUR", (accès au logement et un urbanisme rénové) - porté par la ministre Cécile Duflot, adopté récemment par les députés et programmé pour la 1ère lecture au Sénat les 22 à 24 octobre prochains, d'où l'opportunité de cette campagne. "Effrayés, sinon écoeurés par le carcan législatif que Cécile Duflot instaure à coup de taxations, annonces de réquisition et autres contraintes apportées par le projet de loi ALUR, les investisseurs préfèrent se détourner de la location et reporter leur investissement sur l'immobilier d'entreprise et de commerce", soutient Laurent Vimont, président de Century 21 France. Peu importe qu'il n'y ait aucun signe d'un tel report massif, dont on peut se demander s'il est seulement possible : les placements dans ce type d'immobilier ne sont accessibles au commun des mortels sans technicité élevée et sans risques inconsidérés qu'au travers des SCPI, dont la collecte, certes en croissance depuis quelques années, n'a pas explosé...
Même son de cloche chez les promoteurs, pour qui le gouvernement a pourtant fait beaucoup en assouplissement et simplification des règles d'urbanisme, remontée de la maîtrise de l'urbanisme au niveau de l'intercommunalité, et pour leur approvisionnement en foncier plus abondant. "Les investisseurs sont inquiets et ne contribueront pas à rendre le marché du logement neuf actif", déclare Alain Dinin, le président du groupe Nexity, qui faisait le point le 4 octobre sur la conjoncture logement au premier semestre 2013, regrettant les effets néfastes de la politique du gouvernement à court terme.
Les autres facteurs qui pourraient expliquer la - relative - désaffection des investisseurs ne sont évidemment pas pris en compte : la grande "déprime" face au recul de l'activité économique et à l'absence de perspectives au 1er semestre, avant l'apparition de quelques signes de reprise cet été, la disparition pour les candidats au placement locatif des perspectives de plus-value pour les années qui viennent et même les craintes - pas infondées - de baisse des prix de l'immobilier (ce qui relativise au passage les effets attribués à l'alourdissement de l'imposition des plus-values par le gouvernement Fillon en 2012...), la frilosité des banques dans l'octroi des crédits, etc.
Inutile bien entendu de mentionner l'hostilité de l'UNPI (Union nationale de la propriété immobilière), qui est en elle-même un non évènement, même si elle suffit pour que certains médias y voient la preuve que la loi "Duflot" fait "l'unanimité contre elle". Les défenseurs des propriétaires ne peuvent naturellement pas supporter qu'on prétende encadrer les loyers ou leur imposer une assurance obligatoire contre les impayés quand ils peuvent se protéger en sélectionnant sévèrement les locataires et en multipliant librement les garanties personnelles. Pour eux, la solution, comme l'indiquait récemment Jean Perrin, président de l'UNPI, c'est des aides au logement massives pour permettre aux locataires de payer les loyers demandés...
Si l'on peut comprendre que l'UNPI défende les intérêts de ses adhérents, on peut se demander ce qui pousse les professionnels de l'immobilier à entonner le même argumentaire, quand dans le même temps ils essaient, il est vrai pour maintenir le partage des honoraires le location entre propriétaires et locataires, d'accréditer l'idée qu'ils travaillent autant dans l'intérêt des uns que dans celui des autres ! Le catastrophisme, consistant à prédire la fin de l'immobilier locatif privé si le projet de loi honni est adopté, peut s'avérer encore plus contre-productif pour l'immobilier que le projet de loi, alors que l'immobilier locatif résidentiel conserve de nombreux atouts comparativement à d'autres placements, "en termes de valorisarion, de régularité du rendement... et même de rendement s'il est bien acheté", comme le fait remarquer sur son blog Henry Buzy-Cazaux, ancien dirigeant de groupes immobiliers et président de l'Institut du Management des services immobiliers (IMSI). "Où donc iraient ces déserteurs de l'immobilier ? Vers l'assurance-vie, cible de toutes les convoitises fiscales depuis des années ? Vers les actions, dans un contexte de décroissance endémique de la zone euro ? Vers l'or ? Peut-être, je l'accorde, ou quelques autres supports de niche, comme le vin. Soyons sérieux", s'emporte-t-il...
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