Pendant
le confinement, on pouvait dire avec prudence quon
ne savait pas ce qui se passerait sur le marché
du logement au déconfinement. Sur lobstacle,
dans les jours qui ont suivi la fin des interdits, les
plus contraignants dentre eux en tout cas, on
pouvait encore préférer se taire. Aujourdhui,
les faits sont là. Plus exactement le récit
par les acteurs et les informations sont discordantes.
Constater ces divergences dappréciation
nest pas heureux, non pas par esthétisme
: on pourrait trouver belle lunité de lecture
du marché et l'univocité des discours.
Non, à linverse, la pluralité des
sources présente lintérêt
de créer le débat et de faire se poser
les questions nécessaires, sagissant dun
marché complexe, territorial, segmenté
par les produits comme par les acquéreurs et
les vendeurs, complexe par la difficulté dappréhender
leffet qualité des biens, ou encore la
nature du recours au crédit, variable selon les
moments. Bref, il ne saurait être question de
vouloir un seul canal de connaissance de ce marché
et de ses composantes.
Le
problème pour limmobilier résidentiel
est autrement plus préoccupant : quand les représentants
de la transaction, grands réseaux de franchise
ou coopératifs sentent lactivité
augmenter comme les prix dailleurs, les spécialistes
du crédit enregistrent de fortes baisses. Cest
embêtant à plus dun titre : dabord
dans labsolu, au moment de savoir comment se porte
le patient, il est fâcheux que certains observateurs
lestiment en pleine forme quand dautres
le considèrent malade. La conséquence
porte sur lélaboration des stratégies
dentreprise, et sur la stratégie dinfluence
publique : Julien Denormandie déjà, sans
doute Emmanuelle Wargon de la même manière,
ne sont pas fondés à prendre quelque mesure
que ce soit pour soutenir la demande, dont on entend
quelle sexprime tous azimuts avec une puissance
inédite, ni à épauler sa solvabilité,
puisqu'on nous dit que dans les agences les clients
nont pas de problème pour financer leurs
projets. Certaines figures du secteur affichent leur
stratégie et elle est marquée par une
honnêteté rare : on sera toujours à
temps de solliciter le gouvernement.
Oui
et non... Parce que lorsque tous les secteurs dactivité
auront obtenu leur plan, les fonds publics seront siphonnés
- on ajoute déjà du déficit au
déficit dès quon engage une dépense
- et parce quil faut anticiper pour quil
ny ait pas de trou dair. En clair, quand
on constatera sans discussion possible un affaissement
de lactivité il sera trop tard et des transactions
n'auront pas eu lieu, pénalisant et les ménages,
et les professionnels de la chaîne (agents immobiliers,
diagnostiqueurs, notaires, acteurs du bâtiment).
À moins évidemment que le logement, premier
poste budgétaire des ménages, soit le
seul à ne pas pâtir des effets de la plus
lourde catastrophe économique depuis la Grande
Dépression de 1929, selon les mots mêmes
du ministre de lEconomie - qui nest réputé
ni pour sa rhétorique hyperbolique ni pour sa
fantaisie.
Pour
autant, on saluera lintégrité intellectuelle
de ceux qui ne veulent pas aller chez le médecin
avant de ressentir vraiment la douleur. Allons au bout
des interrogations de la presse, des décideurs
politiques et de lopinion : les professionnels
de limmobilier mentent-ils ? Leurs discours visent-ils
à soutenir le moral des troupes commerciales
et en un sens des Français, plus quà
décrire finement la réalité ? Personne
nose s'interroger là-dessus mais la question
est là, pendante. Posons-la nous. On pourrait
se demander aussi en amont si tous les réseaux
disposent doutils de remontée de statistiques
dignes de ce nom, et on constaterait des différences
de fiabilité, sans conteste. À cet égard,
lune des sources les plus présentes, Century
21, a fait la preuve de la qualité de son dispositif
interne, dautres sont moins expérimentés
en la matière. Au point quil est probable
que cette enseigne imprime un peu le mouvement, et quil
soit difficile à un réseau moins équipé
de soutenir ne serait-ce que des nuances vis-à-vis
de cet acteur exemplaire au plan statistique. Et lesprit
des discours dans tout cela, plus commerciaux ou visant
la connaissance neutre ?
Oui,
dans limmobilier, constater une baisse dactivité
ou bien une correction des prix lorsquon est un
acteur du marché nest pas naturel. Pour
le dire sommairement, là où un économiste
peut avoir un regard clinique et froid, un commercial
est en un sens pris en défaut sil note
que les chiffres sont moins bons. Certes, il ne maîtrise
pas le sous-jacent de marché, mais il reste inconsciemment
une gêne : pandémie ou pas, pour prendre
une métaphore médicale, le médecin
navoue pas avec plaisir que des patients sont
morts et quil na pas pu les sauver. Responsable
ou pas de la situation, il la ressent toujours en somme
comme un échec personnel. Cela peut-il infléchir
le discours dun chef de réseau ? Certainement
pas au point de le conduire à tordre la réalité,
mais au point dincliner certains à ne pas
sattarder sur les signaux faibles qui laisseraient
imaginer que tout ne va pas bien.
Ce
qui fait cruellement défaut et pourrait probablement
ajuster entre eux les diagnostics et les réconcilier,
ce sont des éléments qualitatifs. Qui
sont ceux qui continuent à acheter ? La crise
ne les a dévidence impactés ni réellement,
ni psychologiquement. Qui sont-ils alors que chaque
jour nous apporte son lot de mauvaises nouvelles sur
l'emploi et sur le chiffre daffaires des indépendants
? Dans quels secteurs dactivités les recrute-t-on
? Au-delà des projets qui avaient été
mûris avant le confinement, pour lesquels on assiste
à un rattrapage, le patron de Laforêt Immobilier
nous apprenait il y a quelques jours à la télévision
quun projet sur deux dans les agences de son réseau
était nouveau ! Quelle est la proportion de primo
accédants, ces jeunes ou moins jeunes qui réalisent
leur première opération et qui nont
donc rien à revendre pour constituer leur apport
personnel ? Ils sont 20% chez Century 21 ces dernières
semaines, 68% chez Cafpi, le leader français
du courtage en crédits immobiliers. Appartiennent-ils
aux CSP+ pour disposer dun apport initial assez
conséquent aux yeux des banques aujourdhui
? Quelle est la part des investisseurs dans ce marché
immobilier résilient ?
Y
a-t-il également un effet de déformation
entre la clientèle des agences immobilières
et celle des courtiers en crédit, qui essuient
des refus dont nont pas connaissance les agents
? Peut-on postuler que les ménages qui choisissent
dacheter par lintermédiaire dun
professionnel de la transaction ont une situation financière
plus flatteuse et plus solide, et que leur dossier de
crédit est de meilleure qualité ? On commence
à voir des agences qui exigent, avant daccompagner
un candidat acquéreur dans sa recherche, un certificat
de sa banque attestant de sa capacité demprunt
: voilà qui sélectionne les clients et
épargne la déconvenue de la condition
suspensive. Cette pratique nest pas si répandue
et elle ne saurait expliquer que plusieurs grands réseaux
ne ressentent pas la casse identifiée par les
spécialistes du courtage. La sélection
involontaire par la catégorie socio-professionnelle,
plus haut de gamme dans les agences, est l'explication
la plus probable. Peut-être dans linconscient
collectif, ce qui constituerait un problème stratégique
pour les agences, se dit-on que les honoraires majorent
le prix et que les moins aisés passent moins
volontiers par les professionnels. Cela expliquerait
aussi la sous-représentation actuelle des primo-accédants
dans la clientèle des grands réseaux,
par rapport aux recherches de crédit par les
courtiers.
Une
autre explication tiendrait aux relations privilégiées
des agences, notamment qui exercent sous des enseignes
nationales fortes, avec les courtiers et avec les banques.
Ces relations ajouteraient aux chances dobtenir
un crédit lorsquon passe par une agence.
Là non plus, pas détude qui le démontre,
mais une simple supposition. La stratégie des
principaux acteurs est néanmoins limpide à
cet égard : le groupe Citya, par exemple, vient
de séquiper dune filiale dédiée,
et dautres ont des accords favorables avec les
réseaux de courtage sinon avec des banques de
premier plan.
Au
demeurant, tout cela révèle que notre
pays manque dun outil neutre et panoramique, quantitatif
et qualitatif, sur le marché résidentiel.
Il pourrait être le fruit dun acteur, mais
plutôt de la coopération entre les acteurs
: agents immobiliers, notaires, prêteurs, courtiers.
Où en est Clameur, qui doit renaître de
ses cendres ? LPI (Les prix de limmobilier), fruit
de la construction de léconomiste Michel
Mouillart en partenariat avec le groupe SeLoger, est
devenu en peu de temps une référence.
Le notariat na pas encore bâti lobservatoire
national des avant-contrats, qui aurait lavantage
de lexhaustivité et mettrait tout le monde
daccord. Cest un enjeu pour la nation et
un enjeu pour lÉtat. Quand la France décidera-t-elle
de ne plus faire du logement un sujet de polémiques
pour préférer lériger en
question cruciale ? Le spectacle donné aux décideurs
publics, aux journalistes et aux familles nest
pas à la hauteur.
Par
Henry
Buzy-Cazaux, président de l'Institut
du Management des Services Immobiliers (IMSI)
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