Ce
qui sest passé jeudi dernier nest
pas glorieux. Après une année de travail
pour élaborer lordonnance réformant
la copropriété prévue par la loi
ELAN, cest un projet de texte dense et ambitieux,
notamment pour la transition énergétique
des immeubles collectifs, qui avait vu le jour. Il avait
été soumis officiellement au Conseil national
de la transaction et de la gestion immobilières,
dont la même loi ELAN avait préalablement
élargi les compétences à la copropriété.
En clair, le CNTGI étrennait ses nouvelles prérogatives.
Il restait deux étapes avant que l'ordonnance
puisse recevoir la signature des ministres concernés,
celui de la Ville et du Logement et celui de la garde
des sceaux, ministre de la Justice : la lecture critique
du conseil dÉtat et le passage en conseil
des ministres.
Cest
mercredi que la dernière étape a été
franchie. Dès le jeudi matin, les organisations
professionnelles et les experts ont salué la
complétude de lordonnance et son pragmatisme
: elle créait plusieurs outils précieux
pour les syndicats de copropriété et pour
les syndics à leur service, en particulier pour
catalyser les travaux de modernisation énergétique.
Seulement voilà : lordonnance finalement
publiée au Journal Officiel de la République
dans la matinée de jeudi nest pas conforme
à celle que tous avaient validée et que
la collaboration entre les ministères et les
parties prenantes, professionnels et consommateurs,
avait patiemment construite. Un article majeur a disparu,
celui qui instaurait lobligation dun plan
pluriannuel de travaux pour les immeubles de plus de
quinze ans et qui changeait le mode de calcul de lépargne
obligatoire du fonds travaux - innovation de la loi
ALUR de 2014 -. Au lieu dappeler au moins 5% du
budget de la copropriété, le projet dordonnance
reliait les appels auprès des copropriétaires
aux travaux décidés dans le plan pluriannuel:
leur montant aurait été de 2,5% de ces
dépenses programmées. Larticle 13
ménageait dévidence ainsi deux grands
progrès : une projection sur plusieurs exercices
pour travailler à des évolutions techniques
profondes de limmeuble, et une alimentation du
fonds travaux plus réaliste et donc plus compréhensible
pour les copropriétaires. A larrivée,
lordonnance parue au JO assassine deux dispositions.
Que
sest-il passé pour que le gouvernement
décide denterrer cet article crucial ?
Il nétait pas toute lordonnance,
loin sen faut - elle comporte une quarantaine
darticles -, mais il était fondamental
et sa suppression affaiblit considérablement
lefficacité du texte pour que les copropriétés
se tournent vers le développement durable et
même seulement vers lamélioration
de leur patrimoine. Cest un avis du Conseil dÉtat,
estimant larticle anticonstitutionnel, qui a incliné
le gouvernement à faire machine arrière.
Les avis de la juridiction administrative suprême
ne sont pas publics et il nest pas possible à
ce stade de connaître lanalyse du Conseil.
Peut-être a-t-il seulement jugé que limiter
lobligation de plan pluriannuel aux immeubles
les plus anciens rompait légalité
des copropriétaires devant lexigence dexposer
des dépenses. Quoi quil en soit, on peut
sétonner que le gouvernement nait
pas considéré utile davertir le
Conseil national de la transaction et de la gestion
immobilières et son président, Hugues
Périnet-Marquet. On peut sétonner
quil nait pas voulu retravailler en urgence
avec les professionnels et les associations de copropriétaires
pour que la mesure soit inattaquable au plan juridique.
Cela pose un premier problème destime de
lÉtat envers la communauté immobilière,
sans laquelle il natteindra de toute façon
pas les objectifs de transition énergétique,
pourtant désignés comme intangibles et
supérieurs. Le CNTGI notamment a de quoi se sentir
malmené dans cette étrange affaire. Double
discours, double jeu de lexécutif, qui
voudrait la transition énergétique sans
en vouloir le coût politique ?
Le
gouvernement aurait-il au bout du compte trouvé
heureux que cet article fût entaché dinconstitutionnalité
parce quil aurait conduit les ménages à
des investissements onéreux, au moment où
on leur annonce des nouvelles douloureuses comme la
réforme des retraites ou la suppression de certaines
aides ? La copropriété aurait-elle été
sacrifiée sur dautres autels dans dautres
sanctuaires ? On va vite le savoir : si tel nest
pas la cas, le gouvernement va sans délai repenser
le dispositif et passer devant le parlement pour linscrire
dans la loi. Car le sénateur Dallier, spécialiste
de logement à ma Haute-Assemblée, a raison
de dire quavec une ordonnance, qui dispense dun
examen et dun vote mar les parlementaires, on
sexpose à ce genre de déconvenue,
puisque les élus du peuple sont tenus à
lécart.
Et
puis le silence du gouvernement avant la parution de
lordonnance tronquée a eu un autre effet
: tous ceux qui avaient communiqué sur le mauvais
texte ont eu du mal ensuite à dire vraiment le
mal quils pensaient de la version émasculée.
La palinodie est un art difficile. Si le gouvernement
a voulu ainsi atténuer les critiques, il a réussi
mais cest une victoire à courte vue...
surtout sil ne rouvre pas le chantier immédiatement.
Le Salon national de la copropriété, qui
se tiendra dans quelque dix jours à Paris, réunissant
les plus grands experts et les acteurs significatifs
de cet univers, parlera sans doute beaucoup de cette
déconvenue et de ses suites. La communauté
des acteurs ne saccommodera pas de cet avortement.
Car
enfin, en labsence doutils concrets pour
que les copropriétaires sengagent, une
autre disposition fondamentale de lordonnance
restera lettre morte, celle qui élargit lobjet
du syndicat des copropriétaires à "la
conservation et lamélioration, notamment
énergétique, de limmeuble."
Une ordonnance qui, après avoir fait de mort,
ne serait quincantatoire. La copropriété
mérite mieux.
Par
Henry
Buzy-Cazaux, président de l'Institut
du Management des Services Immobiliers (IMSI)
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