En
fait, la base de données existait depuis 2017,
inaugurée sous le nom de " Patrim ",
à titre expérimental. Il ne s'agissait
pas de données ouvertes, puisque celui qui voulait
y accéder devait déclarer rien moins que
son identifiant fiscal, en sus de son nom et de son
adresse. Bercy avait alors dit que la base était
appelée à fournir des repères aux
contribuables pour l'ensemble des démarches déclaratives
relatives à l'immobilier. Vérifier une
valeur indiquée dans une succession, ou encore
pour procéder à une donation, ou bien
sûr pour porter mesurer si l'on est assujetti
à l'IFI (impôt sur la fortune immobilière),
tout cela exige que le contribuable y voie clair et
ne s'expose pas à des redressements. La différence
aujourd'hui réside dans l'accès anonyme
aux données de Patrim, en outre gracieux, et
par voie de conséquence l'usage plus large des
informations en question. On peut naturellement penser
à l'aide à la décision pour fixer
un prix de cession ou pour préparer un achat.
Mais
pourquoi donc l'administration fiscale fait-elle cela?
Par grandeur d'âme, par souci de transparence?
On peut imaginer plusieurs raisons. D'abord, il faut
reconnaître qu'aucun acteur n'était parvenu
jusqu'alors à créer une base comportant
de façon exhaustive toutes les ventes résidentielles
du pays, et donc d'une ville ou d'un quartier ou d'une
rue, pour descendre au niveau de la maille la plus fine.
Les seuls qui eussent pu y réussir étaient
les notaires...d'autant que le législateur leur
en avait donné mandat par la loi de 2010. Ce
texte faisait suite à une mission confiée
à deux experts, Bernard Vorms, alors directeur
de l'ANIL, et Sabine Baïetto-Beysson, inspectrice
générale de l'équipement et alors
présidente de l'Observatoire des loyers de l'agglomération
parisienne, après que l'auteur de ces lignes,
alors délégué général
de la FNAIM, avait mis en cause la qualité des
informations publiées par l'organisation professionnelle
et s'était fait limoger. On précisera
que ces critiques, émises en 2009, ne s'appliquent
plus aux travaux statistiques de la FNAIM, qui a depuis
rebâti son observatoire. Bref, les notaires étaient
attendus sur ce sujet et en dépit des efforts
du Conseil supérieur du notariat et de la Chambre
de Paris des notaires, historiquement engagée
dans l'animation d'un observatoire régional de
grande qualité, l'enfant n'est pas né.
Les instances se sont heurtées à la difficulté
de mobiliser les études notariales et leur personnel
pour faire remonter la totalité des informations
attachées aux ventes, mais aussi aux avant-contrat
préalables à la signature de l'acte authentique.
En
cause, la multiplicité des systèmes d'information
équipant les notaires de France, et la distorsion
quant à la mission fondamentale: le notaire ou
le clerc qui instrumente une vente a un rôle de
réassurance juridique, et non un rôle statistique.
Au moment de saisir les quelque 130 renseignements sur
chaque bien, les collaborateurs doivent accepter de
changer de mission, pour compléter les fiches
et pour les transmettre sans délai à l'observatoire
national. On ne sait d'ailleurs plus ce qu'il est advenu
du chantier qui a employé les artisans qui avaient
été désignés par l'ordre
des notaires pendant plusieurs années.
Ainsi
donc, Bercy a réalisé ce que les notaires
auraient pu faire. Avec une valeur ajoutée tout
de même bien inférieure: les notaires auraient
pu fournir le détail de toutes les ventes, mais
également un traitement statistique intelligent,
avec des codes de lecture des marchés locaux,
au-delà des données brutes, comme ils
le font pour Paris et les départements alentour.
Les tendances, les logiques à l'uvre, rien
de cela ne ressort de la connaissance des ventes enregistrées
et Bercy ne fournira que des données brutes.
En outre, les informations disponibles au ministère
des finances correspondent aux saisies des notaires
lors de la réitération des compromis ou
des promesses de vente, signées entre quatre
et six mois avant. Si l'on prend en compte les délais
de traitement par le ministère, les informations
sont en retard d'autant, sans doute de l'ordre de huit
mois, par rapport au marché. Pour se faire une
idée juste des prix en vigueur, dans un contexte
plus mouvant qu'il y a dix ou vingt ans, mieux vaut
se fier aux observatoires de Century 21 ou de Meilleursagents,
qui rendent compte des prix des prix de mise en marché.
Cela
dit, on peut espérer un impact singulier, qui
ressortit à la peur du gendarme: les prix de
ventes récentes pourraient bien faire autorité
plus que ceux des autres observatoires, juste parce
qu'ils émanent du fisc, et à ce titre
ils pourraient éviter les excès et tempérer
le marché. En clair, qui osera vendre un logement
au-dessus des prix consignés par Bercy dans les
six mois qui précèdent? La crainte du
contrôle fiscal et du redressement est à
prévoir chez les contribuables.
Enfin, l'accès direct aux cessions passées
et aux prix de négociation va donner le sentiment
à ceux qui y accèdent qu'ils sont experts
immobiliers. Or, évaluer un logement exige de
prendre en compte plusieurs critères distinctifs
et identitaires du bien: s'il existe des logements comparables,
il n'existe pas de logements identiques. L'illusion
que le marché immobilier résidentiel est
ce que les économistes nomment un marché
expert, dans lequel les valeurs sont établies
et aisément calculables est dangereuses. Le rôle
des agents immobiliers ou des experts immobiliers restera
déterminant pour définir un prix précis.
Il
reste que cette base de données, dont les développements
sont encore en cours, constitue un bel effort pour rapprocher
l'administration des contribuables, pour prévenir
les contentieux sinon calmer le jeu du marché.
Merci Bercy.
Par
Henry
Buzy-Cazaux, président de l'Institut
du Management des Services Immobiliers (IMSI)
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