Une note de travail récente du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD - organisme d'étude commun au ministère de la cohésion des territoires, dont dépend le logement, et à celui de la transition écologique et solidaire), remettrait en cause la thèse que défend le gouvernement selon laquelle les aides personnelles au logement (APL) auraient un effet inflationniste sur les loyers. C'est ce qu'indique le quotidien Le Monde qui a eu connaissance d'une version provisoire de cette note, non publiée.
C'est pourtant en se fondant sur cette thèse qu'a été prise la décision de baisser uniformément de 5 euros par mois toutes les aides (Aide personnalisée au logement, allocation de logement familiale, et allocation de logement sociale) à compter du mois d'octobre, et que le gouvernement se prépare à aller plus loin dans le cadre de la loi logement dont les grandes lignes devraient être dévoilées le 13 septembre. On parle d'une économie de 2 milliards d'euros alors que la baisse de 5 euros ne permet d'économiser qu'un peu plus de 300 millions... Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires, argumentait, le 25 juillet, à l'antenne de RTL : "Quand on met un euro de plus sur l'APL, ça fait 78 centimes de hausse des loyers". Le Monde indique qu'il s'appuyait, sans la citer, sur une étude ancienne de l'INSEE, datant de 2005, de l'économiste Gabrielle Fack, qui mesurait un impact entre 60 et 80%. Le quotidien cite une autre étude de l'INSEE, de Céline Grislain-Letrémy et Corentin Trevien, parue en novembre 2014, utilisant une méthode différente comparant les loyers aux franges des zones où le niveau des aides change, concluait, comme Gabrielle Fack, à un effet inflationniste, mais bien moindre : de 5 à 7 % seulement. La Cour des comptes s'est inspirée de ces études pour remettre en cause elle aussi l'efficacité des APL rapportées à leur coût.
La note du CGEDD remet ce lien sérieusement en cause. Selon l'auteur, "les aides personnalisées au logement n'ont pas engendré de surinflation du loyer des logements de leurs bénéficiaires par rapport à celui de l'ensemble du parc locatif privé". La note constate certes que les loyers des 25% des locataires les plus modestes du parc privé ont bien, entre 1973 et 2013, augmenté de 43% de plus que la moyenne des loyers (voire 57% pour le loyer au mètre carré), tandis que les allocations logement étaient, à la suite de la réforme de 1988, distribuées massivement, pour atteindre aujourd'hui 18 milliards d'euros (contre 4,4 milliards d'euros en 1984). Mais selon la note, l'inflation des loyers résulte plutôt d'effets de structure, en particulier du meilleur confort des appartements et d'une durée d'occupation plus courte. Il est vrai que désormais, 100% des logements de locataires modestes sont équipés d'une douche, d'un chauffage et d'un WC, alors que ce n'était le cas que de, respectivement, 25%, 15% et 37 % d'entre eux en 1973. Ainsi, selon le CGEDD, les aides au logement, créées en 1977, ont surtout contribué à ce que ces ménages soient mieux logés ! Les bénéficiaires de ces aides, qui sont plus jeunes que l'ensemble des locataires désormais, louent, en outre, des logements plus petits et urbains, deux caractéristiques qui poussent également les loyers à la hausse. Cette évolution est due au "rajeunissement des pauvres ou la paupérisation des jeunes", dit la note : en 1970, les locataires les plus modestes étaient, en effet, de dix ans plus âgés que la moyenne ; en 2013, c'est l'inverse, ils sont plus jeunes de cinq ans (39 ans au lieu de 44).
On comprend que le gouvernement hésite à publier cette note. Ce qui révolte Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre, vent debout contre la baisse des APL. Afin de calmer les appréhensions, Jacques Mézard a annoncé le 6 septembre dans Le Figaro que les aides au logement ne seront réduites qu'à la condition que les loyers baissent dans le parc social, ce qui achève d'irriter les organismes HLM, qui étaient réunis jeudi 7 septembre en présence du ministre. "Il est un peu paradoxal de nous demander de baisser nos loyers alors qu'ils sont déjà réglementés, avec une augmentation très faible de 0,19% au cours des trois derniers exercices, et que 55% des aides vont au parc privé", a plaidé Alain Cacheux, président de la Fédération des offices publics de l'habitat, dans des propos rapportés par Le Monde. Les associations de propriétaires privés et les professionnels de l'immobilier ne vont pas manquer également d'exploiter cette note. Les propriétaires, qui pestent habituellement contre la dépense publique, sont très favorables aux aides personnelles qui solvabilisent leurs locataires...
Mais la thèse du CGEDD est-elle pour autant exacte ? Elle semble méconnaître le mécanisme de formation des prix sur le marché locatif libre (hors logement social), pourtant mis en lumière de manière éclatante par les données de l'Observatoire CLAMEUR ces dernières années : le niveau des loyers ne se fixe pas systématiquement en fonction du niveau de prestations mais des modalités de fonctionnement du marché locatif. Dans les zones non tendues, où l'offre est excédentaire, le jeu de l'offre et de la demande joue à plein, à la fois sur le marché de la vente et sur celui de la location : les prix et les loyers sont fixés par les acquéreurs et candidats locataires, et les caractéristiques des logements n'ont d'influence que pour créer une hiérarchie entre les biens. Il n'y a par contre pas de limite inférieure au niveau des prix et des loyers et de nombreux biens peuvent se trouver en situation de non-valeur.
Dans les zones tendues au contraire, l'insuffisance de l'offre tire les prix et loyers vers le haut, et elle le ferait sans limite s'il n'y avait un plafond : celui du pouvoir d'achat des acquéreurs et candidats locataires, et de leur solvabilité. Là encore, les caractéristiques des logements vont influer, non pas sur le niveau général des prix et des loyers, mais pour créer une hiérarchie entre les biens, beaucoup plus "écrasée" que dans les zones non tendues. Le fait que le pouvoir d'achat des candidats locataires soit renforcé par les aides au logement a bien pour effet de rehausser le plafond général des loyers...
En conséquence, dire que le niveau général des loyers a été tiré vers le haut par l'amélioration de la qualité des biens est inexact. Aujourd'hui un bien sans confort est simplement inlouable dans les zones non tendues, et louable hors marché légal dans les zones tendues. Le marché ne fonctionne qu'avec des biens répondant aux critères minimaux de qualité actuels, et le niveau des loyers n'a que peu de choses à voir avec cela ! Par contre, la diminution générale du niveau de vie de la population de locataires, constatée et évaluée par de nombreuses études, est réelle. Une des causes en est l'évasion de la part la plus aisée de cette population vers l'accession à la propriété. Cette transformation des clientèles du marché locatif a pour effet de descendre le plafond qu'impose aux loyers le pouvoir d'achat des locataires, cause probable du ralentissement de la hausse des loyers depuis une décennie, puis de la baisse générale du niveau des loyers constatée ces dernières années. Et ce n'est pas parce que le parc immobilier locatif se détériore : la baisse de l'effort d'amélioration-entretien des logements constatée par CLAMEUR, en plus d'être très relative, est trop récente pour avoir eu un effet sur le niveau des loyers...
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