Associations de propriétaires et grandes fédérations professionnelles d'agents immobiliers et administrateurs de biens fourbissent leurs armes. Des recours devant le conseil d'Etat (et non le Conseil constitutionnel comme cela a été rapporté de manière erronée par de grands médias), doivent être déposés par les uns et les autres contre le décret du 10 juin fixant les modalités d'application de l'encadrement des loyers qui doit entrer en vigueur à compter du 1er août prochain à Paris, et plus tard dans les villes volontaires disposant d'un observatoire agréé (comme Lille depuis peu). Est notamment en cause la définition du complément de loyer que les propriétaires pourront demander au dessus du loyer de référence majoré fixé par le préfet. Il lui est reproché son imprécision, susceptible selon ces opposants de multiplier les litiges. L'arrêté préfectoral pour Paris serait aussi attaqué en raison du caractère insuffisamment affiné du zonage retenu.
Si de telles actions sont compréhensibles pour les propriétaires, dont la mesure heurte frontalement les intérêts, elles sont plus dangereuses pour les professionnels immobiliers, car elles induisent l'idée que les locataires ne sont pas la priorité des agents immobiliers et administrateurs de biens : la FNAIM, l'UNIS et le SNPI, leurs trois principales fédérations se sont en effet dressées à l'unisson contre une mesure qui est pourtant soutenue par 76% de Français comme le relève Foncia dans la deuxième vague du "Fonciascope de l'habitat", un sondage réalisé par BVA en partenariat avec RTL. Même s'ils sont dans ce même sondage 51% à craindre, avec cette mesure, une réduction du nombre de logements disponibles à la location. Foncia observe, sans grande surprise, que "ses plus ardents défenseurs sont les locataires et les personnes vivant seules. A contrario, les propriétaires bailleurs se montrent plus réticents que la moyenne", indique son commentaire. En tous cas, le message des professionnels est bien passé : 61% pensent dans ce sondage que cette mesure aura un impact négatif sur la rénovation des logements mis en location et 48% estiment que cela freinera l'investissement immobilier.
Car c'est désormais le crédo des professionnels. Une vente massive des biens locatifs étant peu probable, l'argumentaire vise désormais le risque de moindre entretien des logements et le découragement de potentiels nouveaux investisseurs. La FNAIM Grand Paris relève déjà un "effondrement" de la part de marché des investisseurs de 30 à 10% des transactions à Paris, avec un report partiel vers la banlieue. Ce chiffre est à prendre avec prudence car dans le même temps le réseau Century 21, dont les chiffres sont plus fiables, relève un taux d'investisseurs à Paris de 23,9% à fin juin, certes plus faible qu'en 2012 où il atteignait 28,1%, mais néanmoins en hausse de 10% par rapport au 2ème semestre 2014...
Pour le reste, l'argumentaire est celui des propriétaires : l'encadrement des loyers aggrave la pénurie de logements locatifs, autrement dit il faut que les locataires payent cher pour donner envie aux investisseurs. Le raisonnement est bien entendu à courte vue, car la liberté de fixation des loyers en vigueur depuis des décennies n'a pas permis d'inonder le marché de nouveaux produits, et pour cause, le parc immobilier est très peu extensible et la priorité au logement social et intermédiaire, indispensable pour assurer un minimum de mixité sociale absorbe toute nouvelle construction sur le rare foncier disponible.
Mais les professionnels, idéologiquement portés ver le libéralisme, ont aussi une raison plus directe de s'opposer à l'encadrement : pour de nombreux administrateurs de biens parisiens, la baisse des loyers des petites surfaces que l'encadrement va entraîner - c'est l'essentiel de leur portefeuille de mandats de gérance - signifie pour eux une deuxième cause de réduction de leur volume d'honoraires, cette fois de ceux de gestion, après le plafonnement de ceux relatifs aux locations en vigueur dans les zones tendues depuis la mi-2014, au grand bénéfice des locataires...
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