S'installer à distance de son lieu de travail pour profiter de coûts du foncier moins élevés est-il un bon arbitrage financier pour les ménages étant donné l'augmentation des coûts de transport ? Et quand bien même il le serait, cet arbitrage est-il favorable ou non à la société dans son ensemble ? Telles sont les deux questions que s'est posées le Crédoc, essayant pour y répondre d'établir d'une part le "coût privé" d'une installation résidentielle sur un territoire donné pour un ménage, et d'autre part le "coût public" pour la collectivité.
Le "coût privé" ou "coût résidentiel" est le cumul du coût du logement, charges comprises, et le coût de la mobilité en fonction du type de commune de résidence ; il constitue la donnée la plus pertinente pour analyser des inégalités sociales et territoriales croissantes, dont la montée de la précarité énergétique est le symptôme. Or, s'il existe des seuils imposés par les financeurs et les propriétaires pour s'assurer que les accédants et les locataires ont des ressources suffisantes pour payer les loyers et rembourser les emprunts, aucune règle ne s'impose concernant les charges de mobilité induite par l'éloignement entre le lieu de résidence et la localisation de l'emploi et des services. Très logiquement, le coût de la voiture individuelle et de son usage, comme le coût des abonnements de transports collectifs, augmentent très sensiblement avec l'éloignement des zones urbaines denses. Quitter les centres et les banlieues pour des zones périurbaines, voire rurales, permet de gagner sur le coût du logement, mais au détriment du coût qui en résulte pour la mobilité. D'autant qu'à la différence des charges de logement, il n'existe pas pour la mobilité de dispositif d'aides permettant de limiter les coûts pour les ménages aux revenus faibles. Or l'évaluation de l'impact des aides au logement montre qu'elles contribuent à résoudre de moitié la charge financière du logement pour les ménages en dessous du seuil de pauvreté.
Le problème est que lorsqu'ils font un choix résidentiel, les Français ne semblent pas vraiment intégrer dans leurs calculs financiers les conséquences de la localisation. Le risque de sous-estimation des coûts de déplacements sont fréquents. La voiture s'imposant, en général, comme un équipement incontournable, son acquisition et son entretien entrent dans les grosses dépenses de consommation que s'impose la majorité des ménages. En revanche, les dépenses de carburant font partie des charges quotidiennes et sont une charge qui bien souvent n'est pas clairement identifiée. A partir du moment où une résidence a été choisie, elle s'impose, du fait du bâti, du cadre, du voisinage : les conséquences en terme d'éloignement des services et de l'emploi passent au second plan, dès lors que le ménage est équipé en automobile...
Si l'analyse de la progression des kilomètres parcourus sur les dix dernières années montre que pour les déplacements contraints du quotidien, l'influence du prix des carburants est très faible sur les distances parcourues en automobile, en particulier dans les zones périphériques des agglomérations peu desservies en transport en commun, en revanche, les analyses de l'INSEE montrent que la dépense de mobilité globale d'un ménage (automobile et autres transports, notamment pour les loisirs et les vacances) est fortement influencée par le revenu. De fait, les cadres parcourent des distances nettement plus grandes que les autres catégories de salariés. La moitié des cadres salariés travaillent dans une commune située à plus de 26 minutes par la route de leur commune de résidence et pour un cadre sur dix cette durée dépasse une heure et demie !
Or plus les dessertes seront développées, plus les circulations seront rapides, plus l'aspiration à la maison individuelle perdurera, plus l'étalement urbain sera actif. Il est illusoire selon le Crédoc de penser comme le font les économistes, que les ménages arbitrent rationnellement pour trouver l'optimum entre le coût de l'immobilier et le coût du déplacement, financièrement et en temps passé. En réalité l'étalement urbain se trouve dynamisé par la conjonction de deux processus : le différentiel des prix de l'immobilier entre des zones attractives où le marché est tendu et d'autres qui le sont moins, et la baisse tendancielle du coût de l'automobile. Il est toujours incitatif de s'établir aux marges de l'agglomération pour accéder à la maison individuelle, moins au demeurant par souci d'économie que pour disposer d'une surface plus importante.
Dès lors, le processus est conforté par l'action des pouvoirs publics territoriaux, qui viabilisent, prolongent les réseaux, créent de nouveaux services et de nouvelles centralités. En un mot, confortent l'expansion de la "métropolisation multipolaire". Mais cette politique engendre des "coûts publics", dont le compte n'a jamais été vraiment dressé en France : coût public direct pour la création d'extensions de voirie et de lignes de transports collectifs, création de services publics (écoles…), de zones d'activités, etc., et coût public indirect par amputation des surfaces agricoles, disparition d'espaces naturels, etc. Le bénéfice public reste quant à lui à explorer : recettes fiscales, électeurs, économie locale...
La manière dont les configurations urbaines, à travers la densification ou l'étalement urbain, ont un impact sur ces coûts, fait débat. Les chercheurs restent divisés sur le sujet et les conclusions de leurs travaux peuvent être assez contradictoires selon les variables de mesure et d'analyse adoptées. En ce qui concerne la densité, les auteurs ont trouvé que, d'une manière générale, l'urbanisation dense augmente le rapport coût-efficacité des dépenses publiques. Mais l'analyse des caractéristiques politiques, de son côté, indique que les territoires plus fragmentés, c'est-à-dire, ceux dont la taille des unités de gouvernance sont plus réduites, ont tendance à avoir des dépenses de services publics moins élevées, ce qui n'est pas étranger à la frustration ressentie par les populations péri-urbaines...
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