L'Assemblée de Corse, dont la majorité est de gauche, a adopté le 25 avril par 29 voix sur 51 un statut de résident permanent, ainsi qu'un un vœu visant à obliger quiconque veut devenir propriétaire d'un terrain ou d'un logement à justifier d'un statut de résident permanent d'au moins cinq ans sur l'île. Ce statut a été réclamé par les nationalistes et vise, alors qu'environ 40% des logements en Corse sont désormais des résidences secondaires appartenant généralement à des continentaux ou à des étrangers, à combattre la flambée des prix et la spéculation.
Pour le président du conseil exécutif de la Collectivité territoriale de Corse, Paul Giacobbi, député PRG de Haute-Corse, qui avait présenté le projet, "il s'agit simplement de faire face à l'appropriation massive de foncier pour construire des résidences secondaires (...) qui créée au quotidien des dommages économiques, sociaux et même politiques".
De surcroît, le développement anarchique des locations par internet - très souvent "au noir" - auxquelles les services de l'Etat semblent, de l'avis des professionnels concernés, peu s'intéresser, met de plus en plus en difficulté les secteurs du tourisme, principale activité économique de Corse, et de l'immobilier exerçant officiellement leurs activités.
L'adoption du statut de résident n'est "en rien discriminatoire", affirme Paul Giacobbi, rappelant que "toutes sortes de droits sont déjà liés en France à la résidence, qu'il s'agisse notamment de fiscalité ou de stationnement". De nombreux élus ont en outre souligné qu'un tel dispositif juridique existe déjà ailleurs dans le monde, notamment dans d'autres pays européens. Son adoption sera soumise au vote de l'Assemblée nationale et du Sénat, le parlement devant aussi se prononcer sur l'inscription de la Corse dans la constitution.
Didier Maus, expert en droit constitutionnel, cité par Le Monde juge la mesure inconstitutionnelle : "il y a une rupture de l'égalité des Français devant l'accès à la propriété", indique-t-il. La création d'un statut de résident sur l'île doit forcément passer selon lui par une modification de la Constitution. Il faudrait donc obtenir l'assentiment des trois cinquièmes des parlementaires, ce qui paraît hautement improbable...
Réserver la propriété aux résidents de l'île est de surcroît contraire aux dispositions communautaires. On ne peut pas interdire à un citoyen de l'Union européenne d'acheter un bien où il le désire. Pourtant, Paul Giacobbi a reçu le soutien du président du Conseil économique et social de l'Union européenne (CESE), le Français Henri Malosse, qui a fait valoir que "les statuts de résidents existent dans d'autres régions confrontées aux mêmes difficultés", notamment au Tyrol autrichien, ou dans les îles Aland. mais selon Didier Maus, ces territoires bénéficient de dispositions particulières dans la Constitution de leurs propres pays, souvent antérieures à l'entrée dans l'UE.
Quant à l'annonce de dérogations pour les Corses qui ne vivent pas sur l'île, là encore, une pareille mesure est impossible à mettre en place : la notion de "peuple corse" a en effet été retoquée, en 1991, par le Conseil constitutionnel.
Le Monde rappelle que le gouvernement, par la voix de Marylise Lebranchu, s'était déjà prononcé sur le sujet en décembre 2013. La ministre de la décentralisation avait jugé "anticonstitutionnel" le statut de résident.
Il revient donc au préfet, dont la mission est de contrôler la légalité des décisions des collectivités locales, de constater l'impossibilité de l'application de ce voeu, et éventuellement d'attaquer l'acte devant le juge administratif, qui est chargé d'en prononcer l'annulation.
En réalité, en adoptant ce vœu, l'Assemblée de Corse, très consciente du caractère anticonstitutionnel de son texte, veut envoyer un message politique très fort au président de la République. Le problème du foncier est réel sur une 'île où le revenu moyen est inférieur de 20% à celui du reste de la France et où l'accès à la propriété est très difficile pour les locaux et particulièrement pour les jeunes.
Ces difficultés sont aggravées par le problème local de l'indivision et du cadastre déficiant. Depuis l'arrêté Miot de 1801, les Corses ont en effet été exonérés d'impôts sur la succession, ce qui a eu pour effet de limiter les déclarations après les décès. Aujourd'hui, près de 45% des biens se retrouvent en indivision, parfois sans propriétaire identifié. Mais cette exonération doit être supprimée en 2014, et de nombreux habitants craignent de perdre leur bien s'ils doivent s'acquitter de droits de succession sur des bouts de maison dont la valeur immobilière a décuplé.
Le projet d'établissement public foncier régional – prévu dans la loi "ALUR" – devrait, lorsqu'il sera opérationnel, permettre aux habitants de l'île d'acheter des terres et de financer des projets...
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