Maisons de ville, pavillons : de nombreux acteurs locaux s'inquiètent d'assister à l'émergence d'un processus de division "spontanée" du tissu pavillonnaire, qui aboutit, en créant plusieurs logements souvent mis en vente, à la création d'une multiplicité de petites copropriétés, la plupart du temps sans syndic, et donc même pas assurées ! Déjà, une analyse des processus de densification enregistrés entre 1999 et 2008 avait montré que dans 62% des communes franciliennes ayant connu une densification au cours de cette période, le parc de logements avait augmenté sans aucune croissance de la surface dédiée à l'habitat. De même, on a observé qu'un logement sur quatre apparu entre 2001 et 2011 était issu de la restructuration du parc existant.
Le phénomène est étudié par l'IAU Ile-de-France, pour le compte du conseil régional, en partenariat avec le Cete Nord-Picardie et l'Adil du Val-de-Marne pour répondre aux interrogations du conseil régional d'Ile-de-France en matière de logement. A partir d'une exploration des fichiers Filocom (fichiers des logements par communes, construit par la direction générale des Impôts) sur la période 2001-2011, on peut estimer à près de 2.000 le nombre de logements produits chaque année en Île-de-France par la division de 770 logements individuels, ce qui représente une petite part des 3.900 pavillons qui disparaissent en moyenne tous les ans.
La cible privilégiée de la division pavillonnaire est le parc très ancien d'avant 1915, 55 % des maisons divisées ont été construites dans un bâti de cette époque. Ce processus concerne un parc de faible et moyenne qualité. Seules 20 % des maisons divisées sont de très mauvaise qualité, pour 28 % de l'ensemble des logements qui disparaissent par renouvellement immobilier. Il en va de même pour la taille des logements : si la surface moyenne des maisons qui disparaissent en Ile-de-France est de 72 m2, celle des maisons divisées s'élève à 85 m2 (29% de 5 pièces et plus, contre 20 % parmi l'ensemble des disparitions).
Le phénomène de division pavillonnaire conduit principalement à faire disparaître des maisons unifamiliales occupées en propriété (51% des résidences principales étaient occupées par leur propriétaire) et à créer des appartements locatifs privés (68% des résidences principales issues de division). Si 90 % des logements issus de divisions disposent de tous les éléments de confort, ce constat doit être nuancé, car 88 % d'entre eux restent d'une qualité générale moyenne, voire médiocre selon le classement cadastral.
Les propriétaires de logements divisés sont encore principalement des personnes physiques (61%), n'occupant pas le logement qu'ils possèdent pour 80% d'entre eux. Plusieurs types de logiques d'acteurs alimentent la division de certains tissus pavillonnaires. Des logiques de subsistance sont portées par les propriétaires occupants eux-mêmes, accédants ou non : des logiques de regroupement familial et de réorganisation du logement initial pour permettre l'accueil des seniors ou l'organisation du maintien dans les lieux des jeunes adultes, des logiques financières conduisant certains propriétaires occupants à trouver un complément de revenus en exploitant la rentabilité locative de leur logement (retraités ou ménages en difficultés professionnelles ne pouvant plus prendre en charge les frais d'entretien de leur maison ou cherchant un moyen de résoudre des tensions financières), des logiques d'accédants modestes enfin, qui trouvent dans la division du pavillon une occasion d'acheter sur un marché tendu, grâce à un complément de revenu locatif et pour qui la possible restructuration du bien est une condition de réalisation du projet d'achat...
Les propriétaires bailleurs quant à eux restructurent leurs biens en vue de créer des appartements de rapport. Ces initiatives à but lucratif peuvent revêtir des formes diverses : elles peuvent traduire des logiques d'investissement locatif menées par des héritiers de maisons familiales qui, propriétaires de leur propre résidence principale et sans contrainte financière pressante, décident de transformer le bien hérité en un produit d'investissement locatif, y trouvant parfois une manière de partager un bien entre plusieurs héritiers ; mais elles peuvent aussi être assimilées aux pratiques de diviseurs peu scrupuleux, voire quasi-professionnels, qui investissent certains secteurs pavillonnaires et y créent l'équivalent de pensions sans statuts, rentabilisant chaque m2 du logement, par des travaux de qualité discutables et organisant des filières locatives destinés à des publics particulièrement fragiles et exclus du marché ordinaire du logement.
Ces dernières pratiques, caractéristiques des marchands de sommeil, donnent parfois lieu à des effets de contagion à l'échelle de la rue ou du quartier. Les riverains y voient là une des causes de la dévalorisation de leur propre bien. Quant aux locataires, ils sont souvent victimes de ces investisseurs indélicats, confrontés à une gestion informelle des espaces collectifs, et à des problèmes de poids et de répartition des charges lorsque les compteurs d'énergie n'ont pas été individualisés, dans un parc souvent de mauvaise qualité énergétique.
Les collectivités ont du mal à connaître ce phénomène, et à en maîtriser les conséquences, encore plus à traquer les pratiques illégales. En l'absence de procédure de permis de construire ou d'autorisation de travaux, elles n'ont ni les moyens de veiller à la qualité de ce qui est produit ni celui d'anticiper sur les conséquences de cette densification non encadrée (écoles, équipements sportifs et de loisirs, services sociaux...). Même si l'observation des DIA (déclarations d'intention d'aliéner) permet de déceler des transactions d'investisseurs peu scrupuleux et ainsi d'alerter les services municipaux, elle ne permet pas d'encadrer la division a priori.
Ce phénomène reste donc difficilement repérable pour les collectivités qui n'en prennent connaissance souvent que lorsqu'elles sont confrontées aux effets induits de cette densification spontanée, parmi lesquels apparaissent en premier les besoins de stationnement explosant dans certaines rues où le nombre de places disponibles devient sous calibré pour le nombre d'habitants, la qualité sanitaire et énergétique des logements venant gonfler le nombre de demandeurs d'aide énergétique ou de relogement, la saturation des équipements de service à la population, avec notamment des effets de variation sensible sur les effectifs scolaires, qui deviennent impossibles à estimer à l'avance...
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