On l'a entendu sur toutes les radios : à compter du 26 décembre, les canalisations en plomb doivent avoir disparu et ceux - propriétaires d'immeubles et copropriétés - dont les immeubles en sont équipés et qui ne les ont pas remplacées sont hors la loi. Cela représenterait encore encore 7,5 millions de logements construits avant 1949 (le plomb n'a pratiquement plus été utilisé depuis), dont plus de 800.000 uniquement à Paris ! A y regarder de plus près, ce n'est pas si simple : en fait cela résulte d'un décret du 20 décembre 2001 qui transposait la directive européenne 98/83/CE du 3 novembre 1998 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine : à compter du 26 décembre 2013, le taux de plomb dans l'eau destinée à la consommation humaine ne doit plus dépasser 10 microgrammes par litre ; auparavant (depuis le 26 décembre 2003), il ne devait pas dépasser 25 µg/l.
Mais ce taux doit être respecté aux points de puisage de l'eau, c'est à dire au robinet du consommateur. Et c'est là que le bât blesse : si l'immeuble est équipé entièrement ou partiellement de canalisations en plomb -encore faut-il le déterminer ce qui n'est pas forcément évident -, c'est à chaque robinet qu'il faut contrôler.
Pour les maisons individuelles, la vérification incombe à chaque propriétaire. Mais la question se pose lorsque la maison est louée : le locataire peut-il exiger du propriétaire qu'il effectue ce contrôle à ses frais ou bien l'investissement lui incombe, quitte à ce qu'il fasse valoir, si le résultat dépasse le nouveau seuil réglementaire, le non respect des critères de "décence" qui imposent au bailleur de mettre à sa disposition un logement ne présentant pas de risques pour la sécurité et la santé des occupants. Dans ce cas le propriétaire peut théoriquement être condamné à remédier au problème par le remplacement ou la passivation des canalisations, étant présupposé que l'eau fournie par le service des eaux est dans les normes, ce qui paraît aujourd'hui être acquis partout. Sans compter une éventuelle indemnisation pour le temps que le locataire a été approvisionné en eau non conforme...
Pour les immeubles collectifs, le problème est le même mais les travaux dépendent du propriétaire en cas d'immeuble en mono-propriété, ou du syndicat des copropriétaires. Dans ce dernier cas, le copropriétaire résidant peut alors agir contre la copropriété, et le locataire contre son bailleur, lui-même copropriétaire, qui doit à son tour agir contre la copropriété. Encore qu'en copropriété, une partie des canalisations qui alimentent un logement peut être privative...
L'autre problème est la mesure du taux de plomb au robinet : quand et comment effectuer les prélèvements nécessaires ? Un prélèvement le matin très tôt, alors que l'eau a séjourné longuement dans les canalisations ne donnera pas le même résultat qu'à 9 heures, après que tous les résidants aient pris leur douche, ou le soir ! Une circulaire du 5 février 2004 a tenté de répondre aux demandes pressantes des DDASS d'harmonisation des méthodes de prélèvement réalisées dans le cadre du contrôle sanitaire. Il a été préconisé d'effectuer des analyses chez des consommateurs tirés au sort, selon une fréquence définie dans le décret mentionné ; la méthode de prélèvement qui a été retenue est le prélèvement aléatoire d'un litre sans purge préalable au cours de la journée, durant les heures habituelles d'activité, au point où l'eau sort des robinets qui sont normalement utilisés pour la consommation humaine, suivant les prescriptions d'un arrêté du 31 décembre 2003.
Cependant, les résultats des analyses de ces prélèvements n'ont en réalité qu'une signification statistique. Selon le CSTB (Centre technique et scientifique du bâtiment), de nombreuses études ont montré que la question de l'évaluation de l'exposition des individus au plomb hydrique est complexe. En particulier, la concentration en plomb dans l'eau dépend de la qualité physico-chimique de l'eau, des caractéristiques du réseau - y compris le réseau à l'intérieur du bâtiment -, et des profils de tirage. Jusqu'à présent, aucune méthode complète et fiable de diagnostic de l'exposition au plomb hydrique à l'échelle de la maison et surtout de l'immeuble n'a été proposée. Les deux éléments à la disposition des diagnostiqueurs sont la norme NF 41-021 de repérage des canalisations en plomb, et les orientations de la circulaire du 5 février 2004 en matière de prélèvement...
Dans les cas d'immeubles dont les réseaux sont difficiles à repérer, ces outils sont encore insuffisants pour fournir une évaluation satisfaisante du risque de dépassement de la norme de 10 µg/l. Le CSTB a réalisé une étude à la demande de l'ANAH (Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat) et la Ville de Paris a travaillé à développer des méthodes combinant un repérage, des analyses de l'eau et l'application d'un modèle théorique pour les cas où il n'est pas repéré dans un immeuble des linéaires importants de canalisations en plomb rendant une réhabilitation complète inéluctable...
On voit bien qu'inciter les copropriétaires à se lancer dans un remplacement des canalisations de leur immeuble, pour un coût moyen estimé selon la CLCV (Confédération logement et cadre de vie) à 2.250 euros par logement est irresponsable ! Cette association a saisi le Premier ministre pour demander un report de trois ans pour l'application, comme autorisé dans la directive. D'autres associations, l'ARC (Association des responsables de copropriété) en tête, invitent les particuliers à ne pas céder à la panique. Juste ne pas boire forcément la première eau du matin, et laisser un peu couler le robinet avant de remplir sa carafe...
Au demeurant, le seuil de 10µg/l est jugé par certains trop faible, des pays hors Europe, comme les Etats-Unis, l'ont fixé à 15 microgrammes.
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