C'est ce qui ressort d'un entretien accordé au magazine Challenges par l'adjoint au maire en charge du logement, Jean-Yves Mano qui, conforté par les mesures de clarification contenues dans le projet de loi "Duflot" en discussion au Parlement, prévient ceux qui utilisent les sites spécialisés comme Airbnb que la ville de Paris va se montrer implacable. Une nécessité selon lui : "nous avons-nous-mêmes alerté le ministère pour qu'il inclue des mesures sur le sujet. Depuis quatre ans que nous avons récupéré ce dossier auparavant traité par la préfecture, nous avons établi une stratégie pour mettre le hola face à certains abus, alors que les succès de sites Internet comme Airbnb ou BedyCasa ont fait exploser ce mode de location", indique-t-il.
Contrairement à Berlin ou New York, la Ville de Paris n'a pas dans le viseur les propriétaires qui louent leur propre appartement pendant qu'ils sont en week-end ou en vacances, pour arrondir leurs fins de mois. Sont dans la cible les investisseurs en immobilier qui se sont convertis à cette pratique, pour la plupart hors de la légalité. "Certains sont de petits propriétaires qui ignorent la loi mais d'autres en ont fait un véritable business et il faut dire stop", explique J.-Y Mano. "Nombre de propriétaires-bailleurs parisiens, provinciaux, ou de riches étrangers qui ont un pied-à-terre à Paris, se sont rendus compte que c'était un système de location très lucratif, plus souple puisqu'ils peuvent bénéficier de leur logement voire le récupérer quand ils veulent, et c'est aussi un moyen assez facile de frauder le fisc, en ne déclarant pas toutes les locations et en se faisant payer cash. Dans le Ive, le Ve, le VIe, le XVIe, nous avons été informés de cas où des grands propriétaires louent des immeubles entiers sur ce mode !"...
La ville a engagé ce combat pour plusieurs raisons : en premier lieu, elle estime que cette pratique, si elle continue à se développer à grande échelle - il y aurait déjà 25.000 voire 30.000 appartements loués à la semaine ou la nuitée, près de 10% de l'offre locative ! -, risque de diminuer le nombre de logements locatifs disponibles pour les habitants parisiens et accentuer la pression sur les loyers, et aussi sur le marché immobilier, la rentabilité de ce type de locations amenant les bailleurs à acheter les appartements à cet usage bien au-dessus du prix au m2 moyen.
En deuxième lieu, la Ville craint des bouleversements socio-économiques néfastes. "Entre les pieds-à-terre des étrangers, inoccupés, et les appartements qui ne reçoivent que des flux de touristes, certains quartiers se vident d'habitants, de familles, de classes moyennes et, avec eux, ce sont les écoles, les commerces, qui ferment. Hors de question que Paris devienne une ville-musée comme Venise", avertit M.Mano. Pour lui l'hôtellerie est déjà là pour ça, et il l'encourage à mieux répondre aux besoins. "Le succès de ces formules de location doit interpeller cette profession: si ça marche si bien, c'est que l'offre hôtelière ne répond pas à tous les besoins, en termes de rapport qualité-prix, mais aussi d'adéquation de l'offre, notamment pour bien accueillir les familles", fait-il remarquer aux hôteliers qui crient à la concurrence déloyale et pressent la mairie d'agir efficacement. Il est vrai que les locations des bailleurs privés ne supportent pas les mêmes normes d'hygiène et sécurité ni les mêmes charges – notamment, pour la Ville, la taxe de séjour- que les hôtels. Sans compter la fraude fiscale, une grande partie du produit des locations aux touristes échappant aux déclarations de revenus...
La ville rappelle que, s'il ne s'agit pas de sa résidence principale, le propriétaire doit effectuer les démarches pour un changement d'affectation des locaux : en effet, un logement loué en meublé pour de courtes durées à des clients de passage n'est plus d'habitation mais commercial, et les revenus générés ne sont plus des revenus fonciers mais des bénéfices industriels et commerciaux. Le changement est depuis de nombreuses années réglementé par l'article L631-7 du Code de la construction et de l'habitation, qui s'applique actuellement aux communes de plus de 200.000 habitants et aux départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Le propriétaire doit proposer une "compensation" sous forme d'un nombre de m2 équivalent ou même supérieur ; concrètement, il doit acheter une "commercialité" auprès d'un promoteur ou d'un bailleur social qui veut à l'inverse, transformer un immeuble de bureaux ou des locaux commerciaux en logements.
A Paris, le prix d'une commercialité s'établit selon les arrondissements de 1.000 à 2.000 euros par m2. La règle n'est pas nouvelle, mais il a régné longtemps une ambigüité sur le rattachement ou non à l'affectation d'habitation des locations meublées de courte durée. Mais les propriétaires la connaissent peu ou feignent de ne pas la connaître, alors que les amendes prévues sont lourdes, pouvant aller jusqu'à 25.000 euros et 1.000 euros d'astreinte par jour et par m2 !
"En avril 2012, la condamnation d'un propriétaire italien qui avait quatre appartements à Paris en location touristique à 15.000 euros d'amende avait fait un peu de bruit. Depuis, nous avons obtenu une dizaine d'autres condamnations et une quarantaine de procédures sont en cours. Chaque année, nous envoyons des avertissements à des centaines de contrevenants en demandant une mise en conformité avec la loi et le respect de la règle de compensation", indique J.Y. Mano, qui pilote une équipe d'une dizaine d'agents, récemment renforcée, chargée de naviguer sur les sites internet spécialisés pour repérer les logements proposés à la location ; ses services reçoivent et traitent aussi les dénonciations de la part de "voisins exaspérés"... La loi "Duflot" leur donnera le pouvoir de se rendre sur place, et de s'enquérir du statut de l'occupant du logement. Autre mesure majeure : les copropriétés pourront décider de soumettre tout changement d'affectation en ce sens à un accord préalable de l'assemblée. par ailleurs, les agences et surtout les sites tels que Airbnb auront l'obligation non seulement d'informer leurs clients annonceurs des obligations légales, mais en plus de recueillir auprès d'eux une déclaration sur l'honneur attestant qu'il les ont respectées.
|