Alors que le débat fait rage contre l'encadrement des loyers défendu par Cécile Duflot dans son projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové ("ALUR"), le Commissariat général à l'environnement et au développement durable (CGEDD) publie une étude mettant en évidence la paupérisation tendancielle des locataires par rapport à l'ensemble des ménages ces 40 dernières années.
Les professionnels de l'immobilier ont beau jeu de faire valoir qu'en dehors de Paris intra-muros les loyers ont évolué raisonnablement ces dernières années. En 2012, selon l'observatoire CLAMEUR, ils ont progressé de 2,2%, après une hausse de 1,6% en 2011. Ils ont même augmenté en moyenne un peu moins vite que les revenus des ménages de 1998 à 2010, au rythme moyen de 2,4 %, selon l'INSEE. Depuis le début 2013, ils sont à l'arrêt (+0,4%)...
Mais ces chiffres sont contredits par l'évolution sur une période plus longue. Selon une étude signée de Jacques Friggit, du Commissariat général à l'environnement et au développement durable (CGEDD), depuis les années 1970, si l'indice des loyers de l'INSEE a augmenté parallèlement au revenu moyen de l'ensemble des ménages, le loyer moyen des locataires a doublé par rapport à leur revenu. Cette contradiction apparente résulte de la conjonction de deux phénomènes :
- les locataires se sont "paupérisés" par rapport à l'ensemble des ménages, de 0,8% par an en moyenne, ce qui reflète principalement la paupérisation massive depuis 1970 des ménages jeunes, surreprésentés parmi les locataires, et, à titre complémentaire et uniquement sur la période récente, un élargissement de l'éventail des revenus ; cette paupérisation a été plus prononcée sur le parc HLM (1,2% par an) que sur le parc libre (0,5% par an) sur la période 1970-2006, mais sur la période 2000-2010 ce différentiel s'est inversé ; l'augmentation de la proportion de propriétaires occupants a entraîné un « écrémage » des revenus des locataires : les locataires dont le revenu est le plus élevé sont davantage devenus propriétaires que les autres, ce qui a diminué le revenu moyen des locataires toutes choses par ailleurs. Néanmoins, ce transfert a également entraîné une diminution relative du revenu moyen des propriétaires ;
- le loyer moyen des locataires a doublé par rapport à l'indice des loyers de l'INSEE de 1970 à 2006, ce doublement reflétant une augmentation de la qualité intrinsèque du parc locatif et s'étant accompagné d'une forte
diminution de la densité d'occupation.
Cet "effet qualité" n'est évidemment pas pris en compte dans l'indice INSEE, qui essaie de tracer l'évolution des loyers pour des logements "constants". "La qualité intrinsèque des logements locatifs a fortement progressé", explique l'étude. "Cela ne provient pas d'une augmentation de leur surface, qui est restée constante depuis 1980, au voisinage de 70 m² par logement" ; une cause majeure de l'augmentation de la qualité intrinsèque des logements locatifs a été l'augmentation de
leur confort, qui a été particulièrement prononcée dans le secteur privé pour les locataires à bas revenu.
Une partie de l'amélioration de la qualité n'est pas choisie mais subie, indique l'étude : "de nombreux isolés logent dans des logements plus grands qu'ils ne le souhaiteraient, la proportion de studios étant inférieure à la proportion d'isolés. Par ailleurs la réglementation, technique notamment, peut entraîner des améliorations de la qualité allant au-delà de ce que les ménages choisiraient spontanément compte tenu de leurs moyens s'ils pouvaient se soustraire à cette réglementation".
L'effet sur les loyers de la variation de la localisation, autre composante de la qualité, est difficile à mesurer en raison notamment des faibles taux de sondage des bases de données sur les loyers. A partir des enquêtes logement, il a été trouvé que la détérioration de la localisation des logements locatifs (de moins en moins situés dans des zones chères, et en particulier de moins en moins en Ile-de-France) a diminué la croissance du loyer moyen de 1996 à 2006 de 2%. Néanmoins, l'effet de l'amélioration de la qualité intrinsèque l'emporte sur celui de la détérioration de la
localisation, si bien que le loyer moyen a augmenté plus rapidement que l'indice des loyers de l'INSEE...
La divergence des loyers et des revenus des locataires augmente considérablement le coût des aides au logement permettant de ramener le taux d'effort des ménages à un niveau donné.
En 2012, le nombre de bénéficiaires d'une aide au logement (APL, ALF ou ALS) en France métropolitaine est resté quasi stable (+0,4%) à 5,94 millions de foyers, dont 2,61 millions pour la seule APL (+1,6%). Les effectifs du secteur locatif ont augmenté en 2012 (+43.500 bénéficiaires), selon la CNAM. Au total, quelque 16 milliards d'euros d'aides ont été versées aux Francais pour abaisser le poids du loyer...
Plus largement, en termes de revenu et de logement, les personnes âgées sont les gagnantes des 40 dernières années par le revenu, et des 10 dernières années par les prix de cession des logements :
- leur revenu (par ménage et par unité de consommation) s'est rééquilibré par rapport à la moyenne, entre autres parce que les retraites ont augmenté et parce que, en tant que retraitées, elles ne sont pas exposées à la concurrence des pays à bas salaires et au chômage subis par la population active,
- elles sont davantage propriétaires de leur résidence principale et à ce titre moins exposées aux hausses des prix d'achat et des loyers,
- elles sont les gagnantes de l'envolée du prix des logements depuis 2000 car elles sont vendeuses nettes de logements,
- elles vivent plus longtemps et sont parties en retraite plus tôt.
A contrario, les jeunes sont les perdants, les phénomènes ci-dessus ayant joué à leur détriment :
- ils se sont massivement paupérisés par rapport à l'ensemble des ménages depuis les années 1970,
- primo-accédants, ils ont été les perdants de l'envolée du prix des logements depuis 2000 (envolée que la diminution des taux d'intérêt, dont ils bénéficient davantage que les autres ménages puisqu'ils empruntent davantage, n'a compensée que très partiellement),
- ils bénéficient de moins en moins de logements sociaux (la garantie de maintien dans les lieux joue contre eux et les occupants du parc locatif social en sortent moins souvent pour accéder à la propriété),
- ils héritent de leurs parents de plus en plus tard (actuellement vers 55 ans),
- ils vont supporter l'augmentation de la dette qui a financé l'envolée du prix des logements (dette des ménages) et l'amélioration des retraites (dette publique).
Il n'est donc pas surprenant que les jeunes aient de plus en plus de difficultés à se loger, conclut l'étude...
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