Rarement l'ouverture d'un débat parlementaire sur un texte de réforme aura été précédé d'un feu aussi nourri que celui de la loi "Duflot" pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) : de la part des propriétaires immobiliers, des professionnels et des assureurs, avec pour porte-paroles en première ligne l'UNPI (Union nationale de la propriété immobilière), la FNAIM (Fédération nationale de l'immobilier), et Galian (ex CGAIM), garant financier et un des trois assureurs de la GRL (Garantie des risques locatifs). Dans le collimateur : l'encadrement des loyers et la GUL (Garantie universelle des loyers), deux mesures phares de la loi, mais pas les seules...
Les éléments de langage diffusés ont fait mouche dans les médias et consciencieusement repris tout au long de la journée du 9 septembre, veille du début de l'examen en séance publique du projet de loi, fixé au 10 septembre.
Contre l'encadrement des loyers, les deux arguments massue sont qu'il va favoriser les locataires aisés et pénaliser les locataires modestes, et qu'il va décourager les investisseurs et les faire quitter l'investissement locatif vers d'autres types de placements ! Le premier ne tient l'analyse : certes des loyers élevés au m2 vont se voir plafonnés. Mais les biens concernés ne sont-ils loués qu'à des locataires "riches" ? Nombre de petites surfaces à loyers au m2 frisant les 40 à 50 euros le m2 à Paris sont loués à des locataires modestes ou des étudiants. A contrario, les loyers des grands appartements loués à des locataires aisés sont beaucoup plus proches de ce que seront les loyers médians majorés... A l'autre bout de l'éventail des loyers, les logements à faibles loyers risquent-ils de faire l'objet d'une réévaluation de la part de leurs propriétaires, sous prétexte qu'elle serait rendue plus facile que la procédure actuellement en vigueur ? Rien n'est moins sûr : à 30% sous ce que seront les loyers médians, il s'agit la plupart du temps de logements de qualité médiocre pour ne pas dire plus ; les études effectuées par l'OLAP (Observatoire des loyers de l'agglomération parisienne) montrent que les propriétaires n'utilisent souvent pas la possibilité qui leur est offerte de réévaluer les loyers par la procédure de l'article 17c de la loi du 6 juillet 1989 de peur de voir leur locataire partie et de ne plus pouvoir relouer sans gros travaux...
S'il y a un vrai risque de voir les propriétaires d'appartements de grande qualité être tentés de les vendre, est-ce forcément une mauvaise nouvelle ? Une mise en vente massive pourrait entraîner une baisse des prix permettant à ces locataires, par définition aisés, de les acquérir à meilleur compte. de toutes façons, même si un tel mouvement retirait du marché quelques milliers ou dizaines de milliers de logements locatifs, ce ne sont pas ceux qui manquent aujourd'hui aux candidats locataires qui ont du mal à se loger !
Contre la "GUL", il n'est pas étonnant de trouver en première ligne les assureurs, qui craignent légitimement de se voir déposséder d'un marché, celui de la "garantie loyers impayés" (GLI), ou à tout le moins de voir l'Etat l'investir lourdement. Ils sont épaulés par de grands administrateurs de biens qui délivrent la GLI en "ducroire" et en tirent un chiffre d'affaires appréciable. Mais on trouve aussi parmi les détracteurs les propriétaires immobiliers. L'argument développé par les uns et les autres est la "déresponsabilisation" que le dispositif envisagé entraînerait chez les locataires, incités par l'effet que le paiement de leur loyer serait garanti à leur propriétaire à se dispenser de le régler, les adversaires du projet s'inquiétant du coup du coût budgétaire du dispositif pour la collectivité ! Au delà de l'insulte qu'un tel argument constitue à l'égard des locataires, considérés comme prompts à se dispenser du respect de leurs engagements à la première occasion pour dépenser leur argent à on ne sait quels emplois futiles comme les écrans plats ou partir en vacances, ce souci est curieux de la part de ceux qui habituellement réclament pour l'immobilier allègements fiscaux et abattements de toutes sortes... Surtout, il ne résiste pas à la confrontation avec l'expérience : cela fait trente ans que des propriétaires s'assurent contre les impayés : cela a-t-il incité les locataires à ne pas régler leur loyer ? Ils savent que l'assureur qui garantit le propriétaire se retournera contre eux pour récupérer les indemnités versées, et subrogé dans les droits du propriétaire, résiliera leur bail et engagera une procédure d'expulsion. Pourquoi en irait-il autrement avec la GUL. Imagine-t-on que l'Etat, qui aujourd'hui fait feu de tout bois pour combattre les déficits, laissera filer sans rien faire ?
En réalité, sur les deux points, il y a simplement résistance au changement : le statu quo, qui met un bon quart de la population dans la difficulté et qui gêne la mobilité et l'emploi, convient bien aux propriétaires et aux professionnels qui les défendent, du moins dans les zones tendues : une sélection sévère des locataires et la demande systématique de cautions personnelles, les met la plupart du temps à l'abri des impayés quoi qu'ils en disent. Moins de 10% d'entre eux souscrivent une garantie auprès d'un assureur. Quel besoin d'en faire plus ? Si l'on veut une détente du marché, il n'y a qu'à construire plus...
Le gouvernement qui a une crise du logement sur les bras, et qui ne peut espérer des résultats d'une relance de la construction que dans une décennie, ne peut évidemment raisonner ainsi. De surcroît, le développement de la précarité met hors critères de sélection du marché une part croissante des salariés : au mois de juillet 2013, 85% des embauches ont été effectuées en CDD, un record ! Les propriétaires ont raison de dire que le logement social ne suffit pas et que le logement privé est indispensable. La GUL est malheureusement le seul moyen envisageable de le mobiliser pour cette population...
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