C'est ce qui ressort des conclusions d'un groupe de travail constitué par le Syndicat de l'Architecture : réunissant des architectes, des maîtres d'ouvrage et des associations de personnes handicapées, il s'est attaché à faire un état des lieux de la situation sans remettre en cause la loi sur l'accessibilité de 2005, issue de celle de 1975, qui a "présenté une avancée primordiale", mais en mettant en évidence des règles inadaptées, et ce malgré "de bonnes intentions initiales".
Ayant aujourd'hui un recul suffisant, les auteurs s'estiment en mesure de confirmer que ces réglementations présentent un double désavantage : elles débouchent sur des "qualités d'usage dégradées pour les personnes valides" et sont "généralement insuffisantes pour répondre aux attentes des personnes handicapées". Du coup, si les habitants sont souvent insatisfaits, les personnes à mobilité réduite le sont aussi et il en va de même des architectes et des maîtres d'ouvrage ! "Tous s'accordent à reconnaître un hiatus : la conception des logements ne suit plus l'évolution des modes de vie, mais subit celle des normes et des règles", indique le rapport.
D'où une situation incohérente : les habitants des logements qu'ils soient valides ou non en viennent à s'interroger sur les compétences des architectes et des maîtres d'ouvrages qui produisent ce type d'habitat ; les architectes et les maîtres d'ouvrage éprouvent un véritable sentiment de "gâchis" lorsque l'application stricte de règles contraignantes limite leur rôle de "sachant" tout en réduisant de fait les performances spatiales des logements. "Force est de constater que l'on perd en surface intelligente dans le logement", rappelle Ivan Freulet, chef de projet chez Immobilière 3F. par ailleurs, les représentants des associations de personnes handicapées ayant participé au groupe de travail évoquent une confusion des rôles au sujet des dérogations inventées par la réglementation pour les constructions neuves. Ils insistent sur le fait que "entre la loi du 30 juin 1975 et celle du 11 février 2005, on assiste plus à une régression qu'à une évolution positive, tant du point de vue qualitatif que quantitatif". Selon un responsable d'une société d'assistance à la maîtrise d'ouvrage en matière d'accessibilité, "la loi de 2005 s'est attachée à demander à des gens en situation de handicap ce qu'était pour eux l'autonomie. Aborder cette notion entraîne des développements considérables. Que veut dire autonomie pour un obèse ? Pour un paraplégique ? Pour un tétraplégique ? Pour une personne de petite taille ? Pour un aveugle ? A chaque fois, les réponses diffèrent autant que les attentes.(...) Cela se négocie. Parfois, aucun espace ne donnera cette autonomie"...
A la lumière des précisions apportées par les représentants des associations de personnes handicapées, une question s'est profilée : jusqu'à quel point peut-on normaliser une réponse adaptée à la diversité des handicaps, alors même que les besoins diffèrent selon les personnes ? "Pourquoi vivre dans des espaces qui préfigurent nos handicaps alors que nous sommes incapables de savoir quel sera ce handicap ?" s'étonne un membre du groupe de travail. Ne vaut-il pas mieux, se demandent les auteurs du rapport, prévoir les dispositifs opérationnels capables de favoriser une flexibilité pour faire évoluer le plan du logement en fonction du handicap ?. "Cette remarque fait d'autant plus sens aujourd'hui que les matériaux utilisés à l'intérieur des logements sont des matériaux légers, qui rendent très faciles et à faible coût une reprise par des travaux simples", est-il précisé.
Dans la pratique, ils constatent que "tous les bailleurs sociaux adaptent les logements. Toutefois, comme il y a plusieurs catégories de handicap nécessitant des adaptations différentes, les travaux sont aujourd'hui payés deux fois : à la livraison des logements, puis au moment de faire les adaptations répondant aux besoins d'un locataire particulier" !
Pour sortir de cette situation, le rapport préconise "d'envisager de rectifier partiellement les textes de l'arrêté ou les interprétations qu'en donne la circulaire lorsqu'une rédaction maladroite pousse à la confusion".
Il faut aussi travailler avec les industriels. Les membres du groupe de travail ont évoqué à plusieurs reprises "la pauvreté des produits présents sur le marché français en matière de portes coulissantes, de sanitaires et de seuils de porte-fenêtre notamment". Et d'ajouter : "une proposition plus élargie de matériel répondant aux normes d'accessibilité permettrait une mise en concurrence des fabricants et ainsi une réduction certaine des coûts de construction". Il faut aussi faire baisser le coût des produits adaptés qui reste très supérieur à celui des produits classiques. De plus ils sont généralement prévus pour l'hospitalier, ou pour les établissements dédiés aux personnes âgées, et ils instaurent automatiquement "une ambiance médicalisée dans les logements".
Au final, c'est la voie de l'adaptabilité qui paraît être la plus raisonnable aux auteurs du rapport, sur les plans à la fois technique et économique. Il en va de l'intérêt collectif de faire évoluer d'urgence cet état de fait. Pour résorber le déficit en logements que connaît la France, des centaines de milliers de logements sont et seront construits. Il est indispensable qu'ils présentent sans plus attendre les meilleures qualités d'usage pour tous.
C'est l'adaptabilité qui offrira le plus grand panel de possibilités. Elle pourra en effet s'accommoder dans le temps aussi bien d'une population qui vieillit, que d'un habitant invalidé par un accident pour une durée plus ou moins longue, ou encore d'une structure familiale qui évolue. C'est bien l'ensemble de ces paramètres qui doit être pris en compte, et c'est cette nécessité qui justifie les propositions formulées par le groupe de travail, plaident les auteurs.
Il faut en tous cas faire cesser une situation où des constructions peuvent être remises en cause, à cause de l'impossibilité d'être conforme en tous points aux normes en vigueur. Il faut donc se reposer la question des dérogations dans les bâtiments neufs, dans des cas extrêmement spécifiques, mais qui constituent tout l'intérêt de notre patrimoine urbain, paysager et topographique...
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