Le programme de lutte contre la précarité énergétique "Habiter mieux", pourtant doté de fonds importants, a traité moins de 10.000 ménages, loin du rythme de croisière annoncé, soit plus de 30.000 ménages par an : c'est ce qui a été pointé le 27 juin, lors d'un colloque du Club de l'amélioration de l'habitat, où l'on a tenté d'identifier les freins. L'objectif du programme est de réduire de 25% la consommation conventionnelle "théorique" (électro-domestique mis à part) de 300.000 logements en 6 ans, soit les logements du dixième des ménages français qui consacrent plus de 10% de leurs revenus à assurer leurs dépenses énergétiques.
Lancé en 2011, le programme "Habiter mieux" a été ralenti par le renouvellement des conseils généraux, clés de voûte du déploiement du programme dans tous les départements. Puis, fin 2011, il y a eu un sursaut. "On a eu l'impression que ça démarrait. J'étais optimiste. Mais, maintenant, on stagne", a déclaré Philippe Pelletier, le président reconduit du comité stratégique du "Plan bâtiment Grenelle" devant cette assemblée réunissant l'essentiel des acteurs du programme. C'est d'autant plus regrettable que le programme est doté d'une enveloppe de plus d'un milliard et demi d'euros, alors qu'on annonce une rigueur budgétaire sans précédent...
Première difficulté : repérer les ménages énergétiquement précaires. Le portrait-robot est établi : retraités ruraux propriétaires d'une maison construite avant 1975. Pour les dénicher, le programme comptait principalement sur les remontées du fonds de solidarité pour le logement et des travailleurs sociaux. Mais ces derniers ne s'occupent quasi exclusivement que des locataires et non de propriétaires.
Le réseau "Habitat et développement", qui a traité plus du tiers des dossiers "Habiter mieux" réalisés à ce jour, se tourne aujourd'hui vers de nouveaux relais de proximité. Le réseau vient de signer une convention avec l'association "Les ainés ruraux", regroupant plus de 700.000 adhérents, et avec la Capeb, afin qu'ils leurs transmettent le dossier de ménages susceptibles de profiter des aides.
D'autres moyens originaux ont déjà été expérimentés comme une émission de radio dédiée à la précarité énergétique ou encore l'implantation d'une camionnette de sensibilisation sur les marchés. Et, certains acteurs proposent d'envisager, pour la localisation, le recours à des volontaires du service civique. En cause aussi : l'étroitesse de la cible : Habitat et développement estime qu'il faut relever le plafond d'éligibilité fixé actuellement à 16.000 euros, estimant que tous les propriétaires occupants éligibles aux aides de l'ANAH devraient pouvoir intégrer le programme...
Deuxième difficulté: faire passer les intéressés à l'acte : Habitat et développement et GDF Suez ont mené conjointement, sur trois mois, un porte-à-porte dans le centre ancien de la commune de Lezignan (11). Sur 92 ménages identifiés, 3 seulement sont passés à l'acte ! Le conseil général du Maine et Loire, par exemple, qui a mis les moyens, notamment en embauchant à temps plein une coordinatrice précarité énergétique, ne compte, à ce jour, que 60 rénovations.
Troisième difficulté : la mobilisation des artisans, réticents face à la lourdeur des opérations. L'arrivée de l'éligibilité aux certificats d'économie d'énergie (CEE), si elle élargit le financement - l'ANAH et les collectivités territoriales peuvent vendre, pour chaque maison rénovée, des certificats aux "obligés" que sont Total ou GDF Suez -, complexifie le travail des entreprises et ralentit les opérations. De surcroît, il semble que les artisans peuvent être tentés de ne pas adhérer au programme "Habiter mieux" afin de traiter directement avec des "obligés" et percevoir quelque chose sur les certificats vendus, alors qu'ils ne le peuvent pas dans le cadre du programme officiel...
S'ajoutent à cela des doutes sur l'efficacité des travaux réalisés : pour bénéficier des aides offertes par le programme "Habitez mieux", les travaux doivent permettre au ménage précaire de réduire la consommation théorique de 25%. L'estimation est faite à partir d'un "diagnostic de performance énergétique (DPE), à la fiabilité contestée. Par ailleurs, à ce jour, aucune observation de la consommation réelle des logements rénovés n'a encore été menée. L'effet "mieux vivre" qu'apporte la rénovation peut s'accompagner de l'effet dit "rebond" : le ménage habitué à de mauvaises conditions de chauffage, et qui se chauffait à 20°C en hiver, peut avoir envie, suite aux travaux de rénovation, de monter à 23°C, température désormais facilement atteignable... Cet effet a été analysé par un "think tank" américain, Breakthrough Institute, qui a conclu dans un rapport de 2011 que lorsqu'on progresse de deux pas du point de vue de l'efficience énergétique et donc la réduction des coûts, l'effet rebond entraîne un recul en arrière d'un pas ou plus, allant parfois jusqu'à ruiner les gains réalisés au départ !
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