Défendue de concert par les associations de consommateurs comme l'ARC ou la CLCV, l'UNAF (Union nationale des associations familiales), ou les grandes fédérations de syndics, l'idée de favoriser par des mesures incitatives (placements sécurisés et défiscalisés) ou règlementaires (obligation d'alimentation d'un fonds à hauteur d'un pourcentage du budget de charges courantes de chaque exercice), la constitution progressive dans les copropriétés de fonds de réserve pour travaux futurs, fondée sur des plans pluriannuels de travaux votés par les assemblées générales, vient d'être reprise par le groupe de travail "Innovations" du "Plan bâtiment Grenelle présidé par Philippe Pelletier qui a remis son rapport le 29 septembre.
Partant du constat largement partagé que parmi l'ensemble des parcs de bâtiments, celui des copropriétés est l'un des plus complexes à rénover, et qu'alors que les solutions techniques progressent, peu de copropriétés engagent des travaux, les co-auteurs du rapport, Inès Reinmann, associée chez Axcior Corporate Finance, et Yves Farge, membre de l'Académie des Technologies, pointent particulièrement deux points bloquant particulièrement cette démarche : la prise de décision, nécessitant une entente des copropriétaires, et le financement des travaux, traitant de situations très hétérogènes. Sans compter le fait que la durée de détention d'un bien, sept ans en moyenne, limite grandement le retour sur investissement escompté par une rénovation, et donc la motivation à y contribuer spontanément.
Et pourtant pensent-ils, il convient de "changer de paradigme concernant le rapport des ménages à la propriété". L'effort consenti pour l'achat d'un bien ne doit pas être pas le seul à fournir, et provisionner en vue du financement de travaux d'entretien et de rénovation est nécessaire. "Il s'agit aussi bien de préserver son bien que d'assurer ses qualités en terme de sécurité, de santé ou de consommation énergétique", indiquent-ils, citant l'exemple des Pays Bas, où le gouvernement a mis en place une obligation de provisionner un fonds de réserve pour les copropriétés. Ils auraient pu également citée dans le même principe celui du Quebec ou cette obligation, liée à celle d'élaborer et adopter un plan de travaux sur le long terme, est inscrite au Code civil... Il est vrai que dans le cas hollandais, le montant à provisionner chaque année n'est pas fixé mais conseillé à hauteur de 15 à 20% des charges annuelles.
En France, le moment est bon pour se poser la question : certes, l'idée selon laquelle un bien se dévalorise s'il n'est pas correctement entretenu progresse, et la sensibilité à la performance énergétique se fait jour depuis l'affichage obligatoire de l'étiquette énergie du diagnostic de performance énergétique (DPE) dans les annonces immobilières. Mais ce n'est pas suffisant pour déclencher des travaux de rénovation énergétique. Les copropriétés doivent selon les auteurs avoir une vision à moyen et à long terme des travaux à engager sur leur immeuble et provisionner l'argent nécessaire à leur réalisation. Il s'agit d'établir des plans pluriannuels de travaux, notamment énergétique, visant l'atteinte du facteur 2 en consommations énergétiques, et du facteur 4 en émissions de GES à terme. Les audits demandés aux copropriétés de plus de 50 lots disposant d'une installation de chauffage collective doivent aboutir à un plan pluriannuel de travaux ou à un Contrat de Performance Energétique présenté en assemblée générale. Malheureusement, regrettent-ils, seul 25% du patrimoine est concerné par cette obligation. Comme la plupart des acteurs de la copropriété impliqués sur ces questions, ils regrettent que le champ du plan de travaux mentionné par la loi soit restreint aux seuls travaux énergétiques, alors qu'une vision globale (entretien, sécurité, accessibilité, énergie) est nécessaire au copropriétaires pour qu'ils puissent prendre leur décision.
D'où leur recommandation (c'est la proposition n° 9 du rapport), d'étendre l'obligation des audits et diagnostics à toutes les copropriétés, indépendamment du système de chauffage, et d'élargir le champ des plans pluriannuels de travaux à l'entretien, la sécurité, l'accessibilité, etc., et de "favoriser la mise en place d'un fonds de réserve dans les copropriétés existantes, en vue de faciliter les démarches de travaux futures" ; ils recommandent de rendre obligatoire ce fonds de réserve pour les nouvelles copropriétés en construction.
Ce n'est d'ailleurs par forcément le seul mode de financement à envisager pour les travaux : dans une autre proposition, les auteurs recommandent, dans le cas où les temps de retour sur investissement sont compatibles avec les attentes des investisseurs privés, le recours au mécanisme de "tiers investisseur" : un opérateur prend en charge tout ou partie du financement inhérent à la réalisation de travaux d'amélioration énergétique puis attend un retour sur investissement pour se rembourser avec une marge bénéficiaire. L'idée est d'ajouter le "tiers investissement" à d'autres ressources financières (participation du propriétaire, subventions...) pour être plus ambitieux en termes de performance énergétique.
Afin de s'y retrouver dans ces mécanismes complexes - ne pas oublier aussi les certificats d'économie d'énergie (CEE) parmi les financements possibles - et plus généralement envisager une approche cohérente et organisée de l'entretien et l'adaptation long terme des immeubles, les copropriétés devraient pouvoir trouver l'accompagnement nécessaire à l'élaboration et au suivi d'un plan de travaux, et pour cela avoir accès à des missions d'assistant à maîtrise d'ouvrage, indépendantes de la mission de gestion financière des syndics et porteuses de la garantie de résultat, qui est l'autre grand obstacle au passage à l'acte. Ils recommandent donc dans la même proposition de "développer les assistants à maîtrise d'ouvrage en copropriété ; ils seraient des conseillers indépendants des syndics de copropriété, des entreprises et des industriels, chargés de la définition d'un programme adapté de travaux, de la mise en oeuvre de ce programme et responsables du contrôle du résultat".
Reste à convaincre de tout cela les politiques et les pouvoirs publics, qui voient l'obligation de provisionnement des travaux futurs comme une épargne forcée, ainsi que les secteurs conservateurs des bailleurs privés qui font un lobbying efficace contre toute nouvelle contrainte. L'occasion pourrait s'offrir dans peu de temps, à l'occasion du débat parlementaire engagé sur le projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs : des amendements dans le sens de ces propositions, portées depuis au moins deux ans dans le cadre du "Chantier copropriété" du Plan bâtiment Grenelle et de l'association "Planète copropriété", pourraient être déposés. Il sera intéressant d'observer les arguments des uns et des autres...
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