Avant
même que la commission formée par François
Rebsamen, maire de Dijon, ancien ministre socialiste,
nait rendu le rapport commandé par le gouvernement,
il était disqualifié par nombre dexperts
: il arrivait de toute façon trop tard pour être
efficace dans lurgence, lÉtat ne
ferait plus rien avant laprès campagne
électorale et le renouvellement du personnel
politique, et puis tout avait déjà été
dit sans aucun effet au fil des rapports précédents.
Sur
le dernier grief, il est justifié, mais mal interprété
par les observateurs. Le dernier rapport de fond, également
demandé par lÉtat, a été
en effet rendu récemment, à la fin de
2019 par le député de Haute-Garonne Jean-Luc
Lagleize. Certes, langle dattaque différait
un peu puisquil était centré sur
la mobilisation du foncier, mais il a finalement exploré
un champ beaucoup plus large et on a pu saluer sa complétude.
On retrouve chez Rebsamen une inspiration et des mesures
communes. A linverse de la formule du Général,
qui voulait quon nomme une commission pour enterrer
un problème, cette répétition sinon
cette lancinance témoigne que lÉtat
ne parvient ni à inhumer les problèmes
de construction ni à les résoudre. Ce
qui peut choquer en revanche, cest que le gouvernement
ait besoin dexperts extérieurs et quen
son sein, dans les cabinets ministériels ou les
services, la lucidité et les compétences
fassent défaut. Ce point à de quoi inquiéter.
Ce
qui est également fâcheux, cest linsuffisante
considération que lÉtat affiche
pour les propositions des rapports, sans doute imputable
à une estimation fautive des enjeux : la nation
ne sera pas sereine si une partie delle a mal
au logement, comme on peut souffrir dun organe
vital. Ne pas vivre où lon veut, dans des
conditions dignes, déployer des efforts financiers
démesurés pour se loger, au péril
de léquilibre conjugal et familial, tout
cela compromet la sécurité, la santé,
léquité, lenvie de travailler,
la réussite scolaire, le bonheur, tout le reste
en somme. Le sort que le gouvernement dÉdouard
Philippe a réservé à la proposition
de loi du député Lagleize, fruit de la
réflexion de son rapport parlementaire - ayant
même donné lieu à la publication
dun livre en vente libre - nest pas normal.
Votée avec enthousiasme à lAssemblée
Nationale, elle na pas eu au Sénat le soutien
suffisant du ministre du Logement. Le pays a perdu du
temps.
Précisément,
cest peut-être la première proposition
du rapport Rebsamen, consécutif au rapport Lagleize,
qui est la plus marquante, sous des allures de banalité
: "Déployer un discours politique offensif
afin de réhabiliter lacte de construire".
Le quinquennat Macron aura à cet égard
été le pire quon ait connu. Le Président
lui-même a eu des mots disqualifiants envers limmobilier,
sans mesurer combien ils étaient assassins envers
la acteurs. Si la phrase placée au fronton du
rapport Rebsamen pouvait émouvoir les candidats
à la magistrature suprême, il aurait fait
lessentiel, et auprès des décideurs
publics et auprès de lopinion. Car les
Français doivent coûte que coûte
sortir de leur ambiguité : voir arriver de nouveaux
habitants dans leur commune, modestes ou pauvres plus
encore - la clientèle des HLM - leur est désagréable.
Accepter que leur vue soit altérée par
un chantier et bientôt un immeuble les rend agressifs
jusquà ce que leurs enfants cherchent un
logement accessible dans la même commune. Traiter
ces égoïsmes exige une didactique politique
incessante.
Quant
à la stérilité dun rapport
intervenant à la fin du quinquennat présidentiel
et de la législature, le reproche nest
pas recevable et la ministre en charge du Logement va
le faire mentir : le gouvernement va dans lurgence
intégrer au projet de loi de finances des dispositions
issues des travaux de la commission Rebsamen. Sagissant
de la durée pour que des mesures conduisent effectivement
à la production de logements et à leur
livraison, ce point ne fait aucun doute : un terrain
acquis aujourdhui, au terme dune négociation
de plusieurs mois, entraînant une demande de permis
de construire et linstruction dun dossier
dans les dix-huit mois à deux ans qui suivent,
ne mènera pas - si lautorisation est délivrée
et que les recours des tiers contre le projet sont purgés
- à la livraison du premier logement avant
trois ans. En clair, lamorce avant la fin de 2021
du processus qui conduit à bâtir un programme
de promotion nabondera pas loffre de logements
avant la fin du quinquennat suivant. La temporalité
de la construction est telle quune erreur politique
commise en année n hypothèque la production
de lannée n+5 ou n+7. Oui, mais il faut
bien commencer à un moment donné, travaillât-on
pour la postérité politique ! Limmobilier
saccommode mal des calculs à courte vue.
Pour
le reste, les propositions sont de deux ordres et elles
sont bien senties. Dabord, elles reviennent sur
lautre péché ontologique du mandat
dEmmanuel Macron : la recentralisation rampante.
Ce quinquennat, sur ce second plan majeur pour le logement,
aura été terrible : les relations entre
lÉtat et les collectivités locales,
les communes en particulier. Tentative législative
de réduire les indemnités des maires,
absence du Chef de lÉtat au Congrès
de lAssociation des maires de France suivant lélection
présidentielle, volonté affichée
de confier aux préfets la délivrance des
permis de construire, et surtout suppression de la taxe
dhabitation et confiscation de 34% des ressources
des communes ! La liste des gestes malveillants est
longue. Le rapport Rebsamen câline les élus
locaux, un peu trop même. Il y est ainsi question
de compenser intégralement les exonérations
de taxe foncière au bénéfice des
HLM et de remplacer par un crédit dimpôt
lexonération de la même taxe en faveur
des investisseurs institutionnels qui acquièrent
des logements intermédiaires. En clair, lÉtat
cesserait de solliciter les collectivités et
assumerait les allègements fiscaux incitatifs.
Moins heureuses est la proposition qui souffle aux collectivités
de supprimer la franchise de deux ans de taxe foncière
dont bénéficient les acquéreurs
de logements neufs, quils achètent leur
résidence principale ou quils procèdent
à un investissement locatif. Cette mesure, pesant
sur les ménages, les priverait de près
de 3.000 euros
au plus mauvais moment.
Enfin,
sur linsuffisance de terrains constructibles pour
les producteurs de maisons individuelles comme dimmeubles
collectifs, le rapport avance des idées justes.
Oui, il faut mettre fin à la rétention
foncière par les propriétaires publics,
État, opérateurs publics et collectivités
locales. Il faudrait commencer par les recenser de façon
fiable, ce qui nest toujours pas le cas ? Une
honte française. Quant aux propriétaires
privés, il est urgent de trouver comment dissocier
le régime fiscal dimposition des plus-values
de cession des terrains et ce:ui des immeubles bâtis.
On tourne autour depuis vingt ans, et la conclusion
de toute réflexion menée sur le sujet
est sempiternellement que limpératif constitutionnel
dégalité des contribuables devant
limpôt interdit de scinder les deux situations,
la propriété de foncier non bâti
et la propriété de foncier bâti.
En clair, si on comprend pourquoi il faut stabiliser
la propriété de logements locatifs, voire
de résidences principales, en pénalisant
les reventes trop rapides, cest de linverse
quon a besoin pour les terrains. Il faut inciter
leurs propriétaires à ne pas les thésauriser
et à les mettre sur le marché. En outre,
un mouvement massif ferait baisser les prix, anormalement
élevés. On pourrait aussi voyer une exonération
provisoire, ou une réduction importante de taxation,
pour tous les propriétaires qui cèdent
leurs terrains au cours de cinq années qui viennent.
On ne reviendrait pas sur le principe constitutionnel,
on ouvrirait just une parenthèse exceptionnelle.
Cette
solution a été choisie par le passé,
mais pour des périodes trop courtes, de deux
ans en loccurrence : entre le temps pour que la
mesure soit connue du public et le temps de la décision
de vente, souvent collective à deux ou trois
indivisaires notamment, la séquence aura été
mal calibrée. On doit ladapter à
la réalité des situations.
Le
rapport Rebsamen nest ni une tarte à la
crème ni un document complaisant. Il est plus
viril, au sens propre du terme, cest-à-dire
vertueux, quil y paraît. Il faut désormais
aller chercher les responsabilité où elles
sont : du côté dun État qui
ne serait pas attentif au diagnostic des personnalités
de qualité qui ont donné de leur intelligence
et de leur énergie et mépriserait leurs
avis éclairés. Le marché de la
revente très actif occulte la gravité
de la situation de la construction neuve. Pourtant,
à y regarder de près, on lit dans linsolente
santé de lancien la mauvaise santé
du neuf : les prix montent parce que des ménages
moyens pèsent sur le marché à force
de ne pas trouver de réponse dans le neuf, notamment
les primo-accédants et les primo-investisseurs.
Ils viennent aussi pour partie dentre eux allonge
la file des prétendants à un logement
social. Du coup, ce sont les acquéreurs les plus
aisés qui font le marché de lancien
et permettent des valorisations excessives, queux
parviennent à absorber et qui excluent de plus
en plus les catégories intermédiaires.
En réalité, rien ne va plus au pays du
logement en France et la mauvaise santé de la
construction résidentielle en est une cause grave.
Les propositions de la commission Rebsamen constituent
un espoir et une critique sans concession des erreurs
passées. Il faut espérer quil provoque
des repentirs, trop rares en politique, et des sursauts
de conscience. La préoccupation supérieure
et obsessionnelle de la transition énergétique
et de la qualité fait oublier quil faut
des logements en nombre suffisant. Sans réaliser
cela, on pourrait bien mourir guéri, avec un
parc existant réhabilité, des logements
neufs parfaits
mais des millions de ménages
insatisfaits.
Par
Henry
Buzy-Cazaux, président de l'Institut
du Management des Services Immobiliers (IMSI)
|