Habilité par la loi du 26 juillet 2005 à réformer le droit des sûretés et la procédure de saisie immobilière, le gouvernement met la dernière main à l’ordonnance réformant le droit des sûretés et créant notamment - c'est en tous cas l'aspect qui a été surtout retenu par la presse - un crédit hypothécaire rechargeable et un prêt viager hypothécaire : selon des informations recueillies par le quotidien Le Monde (1), le texte devrait être signé par le premier ministre, Dominique de Villepin, courant janvier 2006, avant d'être examiné par le Comité de la législation et de la réglementation financière, puis le Conseil d'Etat, le tout pour une application dès le printemps 2006.
Selon Le Monde, le gouvernement espère que, par le "rechargement", la reconstitution de la capacité à emprunter du souscripteur, au fur et à mesure des remboursements, permettra un accès au crédit à des personnes qui bénéficient de revenus irréguliers.
Toujours selon le quotidien, les hypothèques déjà réalisées pourront être "rechargées". Pour les nouvelles, il faudra le prévoir au moment de leur mise en place. Dans l'état actuel du texte, le prêt hypothécaire rechargeable sera ouvert aux propriétaires pour financer toutes sortes de dépenses. Les banquiers, qui n’ont pas l’air d’accueillir la réforme avec enthousiasme, auraient préféré selon Le Monde qu'il soit réservé aux achats immobiliers, aux opérations de patrimoine ou, pour le moins, aux très gros achats…
Enfin, le prêt viager hypothécaire permettra à un propriétaire d'un bien immobilier d'en tirer de l'argent sans avoir à le vendre, la banque se remboursant après sa mort. Il est prioritairement destiné à des personnes âgées, dépendantes, qui n'ont pas les moyens de payer une aide pour rester à leur domicile. Là aussi, banquiers et notaires mettent en garde contre une utilisation irréfléchie de ce type de crédit qui peut aboutir à une spoliation des héritiers !
Sans surprise, les professionnels, FNAIM (Fédération nationale de l'immobilier) en tête, y sont favorables. Des organisations de consommateurs comme UFC-Que Choisir beaucoup moins, qui y voient un risque de surendettement, voire même de désastre financier si la valeur vénale des biens venait à baisser et ne plus couvrir les crédits souscrits...
La Banque de France, qui s'alarme de la croissance du niveau d'endettement des français au contraire du ministère de l'économie qui le trouve insuffisant et essaie de l'encourager, n'y est pas non plus favorable (voir notre revue de presse)...
Mais la réforme ne se limite pas à ces aspects : elle a pour but aussi de moderniser l'ensemble du dispositif des "sûretés", et accessoirement de faire baisser le coût de l’hypothèque…
Elle risque également de faire une victime inattendue : le privilège immobilier spécial des syndicats des copropriétaires ! Obtenu de haute lutte en 1994 par les organisations de syndics et de copropriétaires contre le groupe de pression des banques, le privilège immobilier spécial prévu par l’article 2103 du Code civil, il donne dans la distribution du prix en cas de vente de lots de copropriété la préférence au syndicat des copropriétaires sur le vendeur et le prêteur de deniers pour les créances afférentes aux charges et travaux de l'année courante et des deux dernières années échues, et le met à égalité avec le vendeur et le prêteur des deniers pour les créances concernant les charges et travaux afférents aux troisième et quatrième années.
Il est aujourd’hui menacé par les suites qui seraient données au rapport relatif à la réforme du droit des sûretés remis par le groupe de travail présidé par le professeur Grimaldi. Répondant à un parlementaire qui s’en alarmait (2), le ministre de la justice reconnaît que le gouvernement s’apprête à suivre la proposition du groupe de travail de simplifier et d'unifier le droit des sûretés, en faisant de l'hypothèque la seule sûreté spéciale, hypothèque qui prendrait rang au jour de son inscription, et que cette proposition, si elle était retenue, entraînerait la disparition du privilège immobilier spécial du syndicat des copropriétaires !
Une réflexion serait toutefois "actuellement en cours pour tenter de concilier l'intérêt du syndicat des copropriétaires avec l'objectif de simplification et d'unification préconisé par le rapport relatif au droit des sûretés"...
L’auteur de la question faisait à juste titre remarquer qu’après dix ans d'application du privilège immobilier spécial avec succès dans les copropriétés, "cette suppression risque de mettre en danger l'équilibre de beaucoup de copropriétés et particulièrement celles composées de ménages aux revenus modestes" !
(1) Le Monde du 27 décembre 2005
(2) Rép. min. n° 66929, JOAN 20 décembre 2005
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