Le succès des SCPI (Sociétés civiles de placement immobilier) dépasse toutes les prévisions : après trois ans de collecte exceptionnelle, ces sociétés ont encore levé 3,03 milliards d'euros en 2013, proche de leur record historique. Comme le montre le bilan statistique de l'IEIF (Institut de l'épargne immobilière et foncière) pour le compte de l'ASPIM (association française des sociétés de placement immobilier), les SCPI ont donc échappé au recul qui a frappé la gestion collective en France (OPCVM et FCP). Cet engouement pour les SCPI n'a pas non plus souffert du décollage des souscriptions des OCPCI grand public dont on pouvait craindre la concurrence, ni des nouveaux fonds de nature juridique différente (SICAV contractuelle, FPCI…) qui se sont multipliés au cours des derniers mois.
La principale explication tient à la rémunération élevée du placement et à la facilité désormais de revendre ses parts depuis que les SCPI ont organisé leur "marché secondaire" : le taux de distribution se situe entre 5% et 8% net, hors fiscalité, sur les vingt-cinq dernières années, une performance que peu de produits assurent ! En outre, les SCPI offrent une mutualisation du risque grâce à la détention d'un parc immobilier en principe diversifié. Parmi les plus prisées on trouve sans surprise les SCPI de bureaux.
Mais les performances passées préjuge-t-elles des performances futures ? Les investisseurs expérimentés savent qu'il n'en est rien ! Or le marché des bureaux commence à donner d'inquiétants signes de faiblesse. Selon une étude du cabinet DTZ, de fin mars, analysée par Les Echos, la part des bureaux vacants a bondi de 9% en Ile-de-France sur un an, à 3,9 millions de m2 de bureaux immédiatement disponibles. L'activité locative est par ailleurs au plus bas : d'après IPD-Immostat, les transactions locatives en bureaux franciliens – soit 80% du marché français des bureaux – ont chuté de 25% entre 2012 et 2013. Toujours selon Les Echos, la construction n'ayant pas faibli, malgré la crise, une bonne vingtaine de grands immeubles neufs livrés depuis plusieurs années n'ont jamais trouvé preneur. "A Montreuil, à Bagnolet, à Asnières, à Ivry-sur-Seine, au Bourget, mais aussi à Issy-les-Moulineaux, à Boulogne et à la Défense. Près de 40% de l'offre neuve - disponible immédiatement sur le marché francilien - serait donc vacante depuis au moins deux ans, parfois quatre. Sans compter les immeubles livrés en 2012 et 2013, y compris de très grandes tours".
La dégradation de l'activité économique rend les entreprises locataires plus fragiles et en tous cas plus regardantes sur les coûts, loyers et charges. Les négociation entre bailleurs et locataires se durcissent. Dans un marché en récession, les locataires s'en vont, ne paient plus les loyers ou les renégocient à la baisse pour réduire les charges. Les actifs moins bien situés, moins proches des transports et dans des zones en perte de vitesse, aux normes moins récentes et non rénovés, ont naturellement plus de difficultés à être loués et à bon prix que des immeubles flambant neufs et bien localisés. Les "experts" tentent de rassurer en faisant valoir que l'immobilier tertiaire n'est pas en "bulle", et n'a pas connu le doublement de valeur de l'immobilier résidentiel ; son appréciation a été plus régulière et modérée, autorisant un rendement moyen d'un peu plus de 5% net pour les SCPI d'immobilier d'entreprise, contre 3% dans le résidentiel.
Le problème est de savoir comment est calculée la valorisation du patrimoine qui fait la valeur des parts, l'autre facteur de rendement d'un placement en "pierre papier" ! Pour le moment les cours restent stables voire en croissance, parce que les actifs restent valorisés à un niveau élevé. Or la valorisation s'effectue en fonction du loyer "facial", celui conclu dans le bail ou proposé à la location pour les locaux vacants. Elle ne tient pas compte des avantages consentis au locataire pour l'attirer, ou pour le garder s'il a des velléités de partir.
Une enquête de Catherine Sabbah dans Les Echos donne une vision alarmiste du marché. "Pas besoin de marchander en ce moment sur le marché des bureaux", indique -t-elle : "les bailleurs sont si contents de trouver un locataire ou de garder le leur qu'ils sont prêts à lâcher, beaucoup. Et les mesures s'additionnent : la mise à disposition anticipée des locaux, (comptabilisée nulle part), un loyer progressif, la facture des travaux d'aménagement, celle du déménagement, une promesse de nouveaux cadeaux au bout de trois ans… Un utilisateur prêt à signer pour six voire neuf ans peut gagner, en plus, de douze à vingt-quatre mois de franchise, durant lesquels il ne paiera que ses charges". Calculé sur toute la durée du bail, le montant que touchera le propriétaire passe ainsi d'une valeur faciale à une valeur économique (réellement payée, après ristourne) de 20 à 25% inférieure. "Jusqu'à 35% fin 2013".
Ce qui est grave, indique Catherine Sabbah, c'est que "lors des grand-messes réunissant les acteurs du secteur et les analystes financiers, les principales sociétés de conseil comme BNP Paribas Real Estate, DTZ, CBRE et JLL fournissent des chiffres faux. Ce sont pourtant ceux-là qui alimentent la base de données d'Immostat, référence nationale et internationale de la santé du marché tertiaire français". Lequel s'est montré étonnamment résistant depuis 2008, alors que depuis le début de la crise financière, les écarts entre loyers "faciaux" et réels n'ont cessé de se creuser. "Et toute la place le sait", souligne Catherine Sabbah.
Cette situation profite d'abord aux promoteurs, qui ont tout intérêt, tout en déroulant le tapis rouge aux locataire pressentis, à afficher un loyer élevé : combiné à la durée du bail, il détermine la valeur de l'immeuble tel qu'il est vendu à l'investisseur. Si un bailleur, ensuite, concède d'importants avantages, c'est que cette perte pèse moins lourd dans son portefeuille qu'un immeuble vacant. Continuer d'afficher un loyer haut lui permet de ne pas dégrader ses comptes en dépréciant ses actifs. La valeur "faciale" sert aussi aux propriétaires lors du renouvellement du bail : c'est sur cette base que reprennent les négociations, une fois les compteurs à zéro. Les locataires profitent enfin d'un cycle de bonnes affaires et ne s'en plaignent pas.
Et de se demander si ce système dont tout le monde semble s'accommoder - "parce qu'on a toujours connu cela" ne gonfle pas une bulle invisible ! "Quelle est, par exemple, la vraie valeur des actifs possédés par les foncières propriétaires et sur laquelle sont définis leur cours de Bourse et leurs capacités d'endettement ? Le savent-elles seulement ? Leur patrimoine est expertisé deux fois par an, mais sur quelles références et selon quelles méthodes ?" se demande Catherine Sabbah. De quoi douter de la vraie valeur des parts de SCPI souscrites par des particuliers dont les immeubles tournent et qui sont forcément reloués à la baisse ? "Les épargnants ne le sauront qu'au moment de la revente", suggère-t-elle, sans vraiment rassurer...
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