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Logement, immobilier : le gouvernement maîtrise-t-il sa politique ? Le 10/10/2017
UI - Actus - 10/10/2017 - Logement, immobilier : le gouvernement maîtrise-t-il sa politique ?
Agir sur un levier sans anticiper les effets induits, et les effets induits de ces effets, c'est jouer à l'apprenti sorcier, et s'exposer au risque de devoir éteindre en catastrophe les incendies allumés : baisse de la construction qu'on voudrait voir progresser, chute de l'effort d'entretien-amélioration du parc immobilier ancien accélérant sa dégradation, ralentissement de la rénovation énergétique qu'on voudrait au contraire voir décoller... C'est pourtant ce que semble faire le gouvernement en ce début de quinquennat en prenant des mesures apparemment improvisées comme la baisse de 5 euros des APL, puis en proposant un budget 2018 dont les conséquences prévisibles vont assez largement à l'encontre des objectifs de sa stratégie annoncée. Donnant même l'impression de mal comprendre les mécanismes de fonctionnement des marchés de l'immobilier...

Des objectifs ambitieux et des moyens dérisoires



Difficile de critiquer les objectifs de la stratégie pour le logement présentée le 20 septembre dernier par le ministre et le secrétaire d'Etat à la cohésion des territoires : construire plus, mieux et moins cher, répondre aux besoins de chacun et protéger les plus fragiles, et améliorer le cadre de vie. D'abord du quantitatif : construction de 60.000 logements pour les étudiants et 20.000 logements pour les jeunes actifs sur le quinquennat, accélération de la production de logements sociaux et très sociaux (plus de 10.000 pensions de famille et un objectif de 40.000 PLAI (Prêt Locatif Aidé d'Intégration réservés aux personnes en situation de grande précarité) par an, et mobilisation du parc privé (40.000 intermédiations locatives).

Enfin, le Gouvernement a également pour objectif, la disparition des passoires thermiques dans les dix ans.


Pour y arriver, une batterie de mesures donnant un fort sentiment de "déjà vu" : abattement fiscal "exceptionnel" sur les plus-values résultant de la cession de terrains à bâtir ou de terrains bâtis, prolongation des dispositifs Pinel et Prêt à taux zéro pour 4 ans, mais recentrés sur les zones tendues, extension de la garantie Visale pour l'ensemble des étudiants locataires sans conditions de ressources et pour tous les logements, et instauration d’un "bail mobilité" de 1 à 10 mois non renouvelable et sans dépôt de garantie, destiné aux étudiants et aux personnes en formation, avec pour garant Action Logement.

Au programme également le déploiement du très haut débit avec allègement des procédures administratives pour une couverture sur tout le territoire en 2022. Mesure susceptible de rendre plus attractifs les logements et maisons en plus grande périphérie des agglomérations et donc d'inciter quelques habitants à s'éloigner des centres-ville (à condition que les transports et autres équipements suivent)...

Sans oublier la sans cesse renouvelée "simplification des réglementations existantes", censée faciliter la construction et faire baisser les prix !


Des mesures budgétaires contradictoires et contre-productives



L'investissement n'est pas oublié : il est prévu de porter de 5 à 10 milliards d’euros le financement du Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain (NPNRU) Porté par l’Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU). De nouveaux moyens seront également alloués en 2018 à l'ANAH afin qu'elle contribue à la rénovation énergétique de 75.000 logements.

Mais pour le reste le logement est l'un des grands perdants du projet de loi de finances pour 2018 et du projet de loi de programmation des finances publiques 2018-2022, présentés le 27 septembre, avec un budget en baisse de 18% en deux ans et des aides personnelles au logement (APL) en baisse de 1,7 milliards d’euros dès 2018 (actuellement globalement de 18 milliards/an). L’objectif répété est de "faire mieux avec moins". A périmètre égal, le budget du ministère de la Cohésion des territoires tombera de 18,3 à 16,5 milliards en 2018, puis à 15 en 2019.

L’économie sur les APL doit être compensée, pour 1,5 milliards, d'une baisse de loyers imposée aux bailleurs sociaux. Cette baisse doit être compensée par une stabilisation pendant deux ans, du taux du livret A (dont les fonds d'épargne servent à financer le logement social) et par un allongement de la dette des organismes HLM. De l'avis de ces derniers, on est loin du compte ! Autre compensation prévue, mais une fois de plus homéopathique : le supplément de loyer de solidarité (SLS) acquitté par les ménages dont les revenus excèdent les plafonds de ressources HLM, se déclenchera "au premier euro". Par contre, les locataires les plus fragiles verront eux, baisser le loyer de solidarité qu'ils acquittent, ce qui va "plus que compenser" la réduction de l'APL, tandis que la possibilité donnée aux locataires, d'acquérir leur logement social, doit renforcer "la mixité sociale et le financement de la production".

Le budget 2018 prévoit aussi de renforcer la mutualisation des moyens des opérateurs HLM – déjà accrue par la précédente majorité – grâce à un "nouveau mécanisme". Faute d'accord, il pourrait être imposé par la loi.

Par ailleurs, cette fois c’est définitif il sera mis fin dès le 1er janvier à l’APL accession qui aide les ménages à acheter leur premier logement, et celle de la prime d'État aux plans d'épargne logement ; le gouvernement précédent y avait renoncé deux fois de suite...

Quant au Crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), comme annoncé, il est reconduit pour un effort budgétaire de 875 millions d’euros, mais transformé en prime versée à tous les ménages à la réalisation des travaux dès 2019. Et avec suppression du crédit d'impôt ouvert aux fenêtres, volets et portes. Mais afin d'éviter de déstabiliser financièrement les entreprises du secteur, les pouvoirs publics donnent six mois aux acteurs économiques pour s'adapter à cette fin programmée. Le crédit d’impôt continuera à s’appliquer, mais à un taux de 15% et non plus de 30% pour les dépenses payées du 27 septembre 2017 au 27 mars 2018.

Comme on peut le prévoir, ces mesures de restrictions budgétaires directes, ou par l'intermédiaire de la baisse des loyers des HLM, si elle est appliquée, ne pourront qu'avoir des conséquences directes sur l'activité du bâtiment et sur le rythme de construction, dans le privé comme dans le social. Le secteur du bâtiment tonne déjà, et on voit les prémisses de quelques reculades esquissées par le président de la République, Emmanuel Macron, lors des 24 heures du Bâtiment, organisées le 6 octobre par la Fédération française du bâtiment (FFB) ; le Gouvernement serait notamment prêt à revoir sa copie sur le PTZ neuf dans les zones rurales et la réforme du CITE. A quand un plan de relance du bâtiment lorsque que le secteur recommencera à perdre des emplois ?


Un défaut de compréhension des mécanismes du marché



Au delà de l'absence d'anticipation des mécanismes du marché de l'immobilier privé comme social, le comportement des politiques révèle de grandes lacunes dans la compréhension même du fonctionnement de ces marchés. Croire par exemple qu'en "simplifiant les normes" on va faire baisser les prix du neuf, c'est ignorer que les prix de vente sont fixés par le marché immobilier local, et que si on baisse les coûts de construction, c'est le prix des terrains qui va rapidement absorber le gain réalisé ! Ce phénomène est pourtant facile à comprendre : le détenteur d'un terrain va le céder au prix le plus élevé permettant à un acheteur, promoteur ou particulier, de produire une maison ou des logements à un prix comparable, toutes différences prises en compte, avec ce qui se vend neuf et surtout ancien à un moment donné dans le secteur. Le particulier ne voudra pas que le prix de revient excède ce qu'il peut trouver d'équivalant tout construit, et le promoteur veut être sûr que les logements construits trouveront acquéreur... Le calcul du prix du terrain va donc partir du prix du produit fini, et s'établira déduction faite du coût de construction et de la marge souhaitée par celui qui fait construire pour ses peines et soins. Une variation des normes de qualité de la construction aura dès lors un double effet : une variation des prix de vente par l'effet de surcroît ou au contraire de diminution de qualité qu'elle induit, et une variation de la pression sur le prix des terrains : le renforcement des normes fera pression à la baisse et leur allègement au contraire relâchera la pression et le tirera vers le haut !

Même chose pour le pari qu'en baissant l'imposition des plus-values des détenteurs de foncier constructible, on encouragera la libération de terrains, et par la même la construction d'un grand nombre de logements : c'est ignorer qu'en dehors des petits terrains ne permettant de construire qu'une maison individuelle, la possibilité de construire est tributaire de l'octroi par les mairies des permis de construire aux promoteurs, quand elles ne maîtrisent pas le terrain elles-mêmes ou par leurs structures d'aménagement. Or les collectivités sont contraintes pour le volume de construction qu'elles peuvent autoriser par la nécessité d'accompagner le développement du parc de logements par l'augmentation de capacité des équipements collectifs d'enseignement, de sport et loisirs et de santé. Les autorisations de construire dépendent donc de leur capacité d'investissement, de plus en plus contrainte par la réduction des dotations budgétaires ! Sans compter celles dont les élus sont sous la pression d'un électorat rétif à la densification et à l'apport de populations nouvelles qui ne peuvent que perturber l'entre-soi...

Fantasme également, savamment entretenu par le lobby des propriétaires et des professionnels, que les propriétaires privés se restreignent de louer parce que la législation des rapports bailleurs-locataires sont trop à leur désavantage, en cas d'impayés, de détérioration du logement ou quand ils ont besoin de reprendre le logement. Ou encore qu'ils pourraient louer moins cher en contrepartie d'allègement de leur imposition des revenus locatifs. A preuve l'échec des formules d'intermédiation locative qui ne fonctionnent que dans les secteurs où les propriétaires ont du mal à trouver des locataires, du dispositif Multiloc à Paris, pourtant fortement subventionné, ou encore des régimes Borloo ou Cosse, de réduction forfaitaire du revenu imposable, proportionnelle au sacrifice consenti sur le loyer ! Dans les zones tendues où ces dispositifs sont proposés, les bailleurs n'en ont tout simplement pas besoin... Comme ils n'ont pas besoin du "Visale", censé remplacer la "GUL" (garantie universelle des loyers), et n'auront pas plus besoin du "bail mobilité" : rien de pire qu'un "turn over" élevé pour obérer la rentabilité de la location car il oblige de remettre en état le logement plus souvent !

Quant à la libération du foncier de l'Etat et des entreprises publiques, chaque nouvelle mobilisation accouche d'une souris : réticences des administrations, coût de la dépollution et de l'aménagement des abords des friches industrielles ou immobilières libérées, coût de réutilisation de bâtiments classés difficilement transformables en logement, enclavement ou éloignement des sites, etc. Croire en un gisement inépuisable de terrains pour une construction rapide de milliers de logements est à peu près aussi naïf que la croyance encore vivace il y a peu en un gisement de logements vacants mobilisables par réquisition...



v.

Universimmo.com - 9/9/2015 : Immobilier locatif privé : en finir avec l'intox !

Universimmo.com 16/7/2017 : Immobilier et logement : quelle politique pour le quinquennat ?

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