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Immobilier, copropriété : pourquoi le projet de loi Duflot doit être défendu Le 18/6/2013
UI - Actus - 18/6/2013 - Immobilier, copropriété : pourquoi le projet de loi Duflot doit être défendu
Le projet de loi que la ministre du logement s'apprête à présenter le 26 juin au Conseil des ministres ne fera pas que des heureux. Sans surprise, les associations de locataires et de consommateurs s'en félicitent. Par contre les bailleurs et les professionnels de l'immobilier sont vent debout. Les premiers parce que le recours aux services des professionnels leur coûtera plus cher - ils ne pourront plus en faire supporter une grande partie par les locataires - et surtout parce qu'ils vont voir dans les zones tendues leurs loyers plafonnés par un système à l'allemande, fondé sur des observatoires locaux des loyers. Les seconds n'auront pas moins de raisons de se plaindre : si en matière d'encadrement des professions et de formation, le projet de loi reprend dans les grandes lignes les propositions de leurs fédérations, il déstabilise le modèle économique des administrateurs de biens et des syndics de copropriété, qui devront revoir le mode de tarification de leurs services : qui est le client, quelle est la prestation et comment la facturer au juste prix ? Peut-être une chance historique de sortir du marasme et de la défiance généralisée dont ils pâtissent depuis des décennies...

Bailleurs privés : la soupe à la grimace



Les propriétaires privés ont de quoi être mécontents : le texte que nous nous sommes procurés, dévoilé pour une petite partie le 12 juin par la ministre du logement, Cécile Duflot, a tout pour leur déplaire et chacun en prend pour son compte ! Si la loi est votée dans les termes actuels, les propriétaires devront, lorsqu'ils ont recours aux services d'un professionnel, supporter la totalité des honoraires de location. Ils ne pourront partager avec les locataires que les frais de rédaction d'acte et d'état des lieux, plafonnés par décret pour que les agents immobiliers et administrateurs de biens ne se rattrapent en les augmentant.

Dans les zones "tendues" en termes de marché locatif, les propriétaires verront leurs loyers encadrés, et cette fois pas seulement lors des relocations par rapport au loyer du locataire sortant, mais "à l'allemande" (1) : des "observatoires locaux des loyers" sont en train d'être mis en place - quand ils n'existent pas déjà comme en région parisienne avec l'OLAP -, et ceux-ci fixeront pour chaque secteur urbain un "loyer médian de référence", un loyer médian de référence "majoré" et un loyer médian de référence "minoré" par type de logement. Le loyer médian de référence majoré ne pourra dépasser de plus de 20% le loyer médian.

Dans ces zones, le loyer des logements mis en location pourra être fixé librement entre les parties mais ne pourra dépasser le loyer médian de référence majoré ; cependant, un "complément de loyer exceptionnel" pourra être demandé pour des logements présentant des caractéristiques, notamment de localisation ou de confort, le justifiant. Mais ce complément de loyer exceptionnel pourra être contesté par le locataire dans un délai de trois mois à compter de la signature du bail, d'abord devant la commission départementale de conciliation, puis devant le juge. Consolation : en dehors des zones tendues, la fixation du loyer des logements mis en location restera libre...

Au renouvellement du bail avec le même locataire, les propriétaires pourront toujours demander une réévaluation de loyer dès lors que le loyer est inférieur au loyer médian de référence minoré. La procédure sera simplifiée et ils n'auront plus besoin comme aujourd'hui de chercher des références de loyers du voisinage. Mais le locataire aura aussi la possibilité, lors de ce même renouvellement, de demander une diminution de loyer dès lors que le loyer sera supérieur au loyer médian de référence majoré ! Comme aujourd'hui, en cas de désaccord ou à défaut de réponse du co-contractant saisi quatre mois avant le terme du contrat, l'une ou l'autre des parties devra saisir la commission départementale de conciliation, puis le juge avant le terme du bail...

Autre avanie pour les propriétaires : dans ces mêmes zones tendues, le préavis du locataire qui donne congé sera réduit à un mois. Egalement, les propriétaires ne devront plus traîner pour la révision du loyer (toute journée passée sera perdue pour l'application de la révision et celle-ci sera définitivement considérée comme abandonnée au bout d'un an), pour la régularisation des charges (passé un exercice, le locataire pourra payer par 12èmes), et plus généralement pour toutes actions relatives au bail, la prescription étant réduite à 3 ans au lieu de 5...

En contrepartie d'une sécurisation - la garantie universelle des risques locatifs ou GURL) - dont les modalités tardent encore à être définies, les propriétaires ne pourront plus demander de documents aux candidats locataires que d'une liste limitative qui sera fixée par décret.

Enfin, ceux qui croient échapper aux rigueurs et contraintes de la location nue en louant des logements meublés devront déchanter : si la fiscalité continuera à leur être (légèrement) plus douce - mais ils le payent par des charges plus lourdes - la location meublée sera elle aussi soumise aux principales règles de la loi du 6 juillet 1989 : loyers encadrés un peu plus chers mais suivant les mêmes modalités, restriction dans le droit de ne pas renouveler le bail (sauf pour les étudiants avec des baux de 9 mois), application de larges pans de la loi de 1989, surtout après deux ans avec le même locataire, etc.

Les propriétaires n'ont pas attendu pour crier au scandale, à l'atteinte au droit de propriété et aux règles du marché. C'est d'autant plus compréhensible qu'avec la hausse des prix du m2 d'immobilier, autrement plus spectaculaire dans la décennie 1998-2008 que celle des loyers, les rendements locatifs se trouvent écrasés, sans compter la hausse des prélèvements sociaux... Mais peut-on faire autrement alors que, pour des raisons multiples dans lesquelles interviennent aussi la baisse du nombre de personnes par ménage, l'augmentation de la qualité des logements, etc., le coût du logement atteint dans les secteurs les plus dynamiques du pays un niveau économiquement et socialement insupportable ?

Les opposants à cette solution ont-il autre chose à proposer qu'un effort accru de construction, qui dans le meilleur des cas prendra dix ans à produire ses effets, ou des incitations fiscales massives hors de propos dans un contexte d'urgence de réduction de la dépense publique ? Ce n'est probablement pas par hasard si l'idée d'un encadrement des loyers à l'allemande avait été aussi reprise in extremis dans la campagne de 2012 par le candidat sortant de la dernière élection présidentielle...

Les propriétaires bailleurs vont-ils pour autant déserter en masse l'investissement locatif, comme le prétendent les organisations et acteurs qui s'expriment en leur nom ? Allons nous les voir délivrer des congés à tour de bras et mettre en vente leurs biens sur un marché où l'acquéreur se fait rare ? Et pour faire quoi de leur argent ? En réalité, le contexte économique ne s'y est jamais aussi peu prêté, et bien qu'il ne s'en vante pas, le gouvernement joue sur du velours. Le placement immobilier, seul type de placement qui puisse être réalisé à crédit, reste et restera le plus sûr moyen de se constituer un patrimoine pour sa retraite, et sa fiscalité, quoi qu'on en dise, reste favorable, notamment pour l'ancien avec travaux. Et puis il n'est pas dit que le transfert d'une partie de l'épargne de l'immobilier vers le financement des entreprises ne soit pas une bonne chose pour le pays dans les circonstances présentes...


Professions immobilières : encadrement et mise en cause des modèles économiques dépassés



Côté professionnels, une partie des demandes formulées dans un Livre blanc en 2011 par les deux principaux syndicats professionnels, la FNAIM (Fédération nationale de l'immobilier) et l'UNIS (Union des syndicats de l'immobilier), sont en voie d'être satisfaites : l'ensemble des professions de la loi "Hoguet" - agents immobiliers, administrateurs de biens et syndics de copropriété - se verront soumis à une même déontologie et encadrés par un Conseil national sur le mode des ordres professionnels ; des Commissions régionales ou interrégionales de contrôle, pourront prendre des sanctions à l'égard de ceux qui ne jouent pas le jeu, pouvant aller jusqu'à l'interdiction d'exercer. Pour tous manquements aux lois, règlements et prescriptions du code de déontologie (à fixer), toute négligence grave, tout manquement à la probité ou à l'honneur...

Leurs collaborateurs et leurs négociateurs, salariés mais aussi agents commerciaux (60 à 70% des négociateurs sont des indépendants), devront justifier au recrutement d'une compétence professionnelle, et tous - dirigeants, directeurs de succursales et collaborateurs - devront se soumettre à une formation continue. Les négociateurs indépendants devront de surcroît souscrire une assurance professionnelle.

Les organisations professionnelles, FNAIM et UNIS en tête, et les grands réseaux de franchise, tels ORPI ou Century 21, étaient plutôt demandeurs de ces mesures, car elles permettent à leurs membres d'être un peu mieux protégés des "francs tireurs", adhérents à aucun syndicat professionnel, mais aussi et surtout des milliers de mandataires indépendants travaillant pour des réseaux du type Optimhome ou Capifrance, de chez eux, sans charges d'agence à pignon sur rue...

Les grandes organisations ne seront pas fâchées non plus de voir interdits les marchands de listes, qui se permettaient de facturer des prestations sans assurer le résultat sous forme d'une transaction conclue, et qui abusaient des difficultés pour de nombreux publics précaires de trouver une location en entretenant une confusion avec le vrai métier d'agent immobilier...

Pas sûr par contre que leur base, lorsqu'elle les découvrira, apprécie toutes ces mesures à leur juste valeur : les professionnels vont devoir engager des frais de formation sans commune mesure avec les niveaux actuels pratiqués et, dans des métiers à fort "turn over", ils risquent de surcroît de faire face à des problèmes de recrutement.

Mais le principal motif de mécontentement viendra de la mise en cause des modèles économiques traditionnels : celui de la location, où les agents immobiliers et administrateurs de biens faisaient supporter la moitié - et plus de manière occulte la plupart du temps - de la rémunération de la recherche de locataire, de la rédaction d'acte et des frais d'état des lieux, et celui des syndics de copropriété, avec les produits financiers réalisés sur la trésorerie de la clientèle, et la multiplication des facturations de "prestations particulières hors forfait.

Les premiers défendent la légitimité du partage des honoraires - celui des honoraires de négociation que le projet de loi met désormais à la charge du seul bailleur - par le fait que la prestation profiterait aussi aux locataires ! Pure fiction malheureusement. En tous cas sur le terrain, même si leurs dirigeants jurent le contraire : tenant leur mandat des seuls propriétaires, ils ne s'occupent des locataires que lorsqu'ils ont du mal à en trouver...

En réalité, la mesure prévue au projet de loi met, du moins dans l'immobilier résidentiel, un terme final à une vieille anomalie : celle qui consiste à faire supporter par un locataire demandeur une prestation, la recherche de locataire - rendue dans l'intérêt du propriétaire. C'était le cas en totalité avant la loi "Quilliot" de 1982, mais celle-ci n'a pas osé aller au bout en une fois et a instauré le partage. Le projet de loi "Duflot" ne fait que finir le travail ! A noter que cette anomalie continue à subsister pour les locataires professionnels ou commerciaux ; mais il est vrai que dans l'immobilier d'entreprise la pratique consistant à charger le locataire est de vielle tradition, et que la jurisprudence ne fait que se réveiller...

Bien que prévenus, les syndics de copropriété viennent quant à eux de perdre une double bataille : le projet de loi comporte les deux mesures qu'ils essaient d'éviter depuis des années, à savoir la suppression de la possibilité de dispense d'ouverture d'un compte séparé au nom de chaque syndicat de copropriétaires, et l'encadrement strict de leurs facturations hors forfait de gestion courantes, ce qu'on appelle les prestations particulières (2) !

Cette bataille est de fait perdue dans l'opinion depuis longtemps et il est peu probable de voir le parlement revenir sur ces mesures. Administrateurs de biens et syndics de copropriétés ont par contre une chance historique à saisir : celle de remettre à plat la tarifications de leurs services. En commençant par le commencement : qui est le vrai client, quelle est la prestation adaptée à ses besoins, comment la facturer à la fois au juste prix, celui qui tient compte du vrai coût de production, et de la façon qui soit la mieux comprise : par exemple en mettant en cause ou en aménageant autant que possible les rémunérations en pourcentage, celles qui laissent penser, comme pour les honoraires sur travaux, que l'intérêt du professionnel va à l'encontre de ceux du client ! Et en s'engageant résolument, pour reconquérir un "pricing power" qu'ils ont perdu depuis longtemps, dans la certification de la qualité de leurs services, comme l'ont fait par exemple avec succès les bailleurs sociaux...


Copropriété : des mesures de salut public



Par contre, en face de Jean qui pleure, il y a Jean qui rit : les associations de consommateurs, qui se sont dépêchées d'exprimer leur satisfaction. L'ARC (Association des responsables de copropriété) en particulier, qui voit exaucés plusieurs voeux d'un coup : évidemment sur le compte séparé et les honoraires, mais aussi sur la gouvernance des copropriétés, avec la reprise de thèmes que l'association défend depuis des années : l'obligation de procéder à des diagnostics techniques approfondis des immeubles et les actualiser tous les 10 ans, de procéder à une programmation pluriannuelle des travaux nécessaires pour l'entretien et la conservation des bâtiments et de leurs équipements, l'exécution des travaux règlementaires de sécurité, ou encore les travaux destinés à générer des économies d'énergie, et enfin de constituer et alimenter dans chaque copropriété un fonds de prévoyance - à hauteur de 5% du budget prévisionnel par an dans un premier temps - pour les financer.

Le projet de loi reprend toutes ces innovations, figurant dans le rapport "Braye" de 2012 (3), y compris celle de fournir aux candidats acquéreurs de logements en copropriété, avant la conclusion de la promesse de vente, une information complète sur la gestion du syndicat des copropriétaires, sa situation financière, les charges, les travaux futurs, etc. Ce sera le premier grand progrès dans l'information de l'acquéreur depuis la diffusion à grande échelle de la copropriété !

Afin d'améliorer pour les pouvoirs publics la connaissance de l'état financier et du bâti des copropriétés et du degré d'avancement de l'amélioration de la qualité thermique des logements et de la prévention des copropriétés dégradées, le projet de loi prévoit la mise en place d'un registre d'immatriculation des copropriétés, tenu sous une forme dématérialisée par un établissement public de l'Etat (probablement l'ANAH), avec immatriculation obligatoire de toutes les copropriétés comportant des immeubles à destination partielle ou totale d'habitation. Et ce avant le 31 décembre 2016 pour les syndicats de copropriétaires de plus de 200 lots, 2017 pour les plus de 50 lots et 2018 pour les moins de 50 lots, sous peine d'astreinte et d'amende à la charge du syndic, ou d'immatriculation d'office par un notaire à l'occasion d'une vente de lots.

Comme pour le registre du commerce et des sociétés, les syndics devront, à l'immatriculation puis annuellement, y transmettre les états comptables et un certain nombre d'informations fixées par décret ; les changements de syndic et l'engagement de procédures de sauvegarde devront bien entendu y être signalés sans délai...


Ces dispositions ne sont bien entendu qu'une première mouture, soumise au travail du parlement. Les lobbies ne vont pas tarder à se mettre en mouvement et tenter de faire pression sur les députés et sénateurs. Un vieux routier du congrès américain comparait l'élaboration des lois au salami : "on peut trouver ça bon, mais mieux vaut ne pas savoir comment c'est fabriqué"...


(1) Universimmo.com - 26/2/2011 : "Pourquoi l'Allemagne ne connaît ni bulle immobilière ni crise du logement ?

(2) Universimmo.com - 26/2/2011 : "Copropriété : comment les syndics ont perdu la bataille de la communication



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