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Affaire Urbania : démêler le vrai du faux Le 18/10/2010
UI - Actus - 18/10/2010 - Affaire Urbania : démêler le vrai du faux
L'accord de reprise du groupe Urbania a été homologué par le tribunal de commerce, évitant un redressement judiciaire et probablement une liquidation qui aurait constitué un sinistre majeur pour le monde de l'immobilier, et mis sur la place publique la légèreté crédule de quelques établissements bancaires de premier plan. Car c'est d'abord elles - la Société Générale en tête, mais aussi des banques comme Monte Paschi, beaucoup plus spécialisées dans la gestion de la trésorerie des administrateurs de biens et donc encore plus inexcusables - qui se sont laissées endormir par le "Madoff" de l'immobilier, Michel "K" Moubayed, alors que d'autres avaient bien flairé la supercherie ! En tous cas cette affaire révèle au grand jour les faiblesses de l'encadrement de la gestion immobilière, et appelle à une sérieuse remise à plat de la législation et des pratiques, mais pas forcément celles que l'on croit, et pas seulement chez les syndics de copropriété...

Le Tribunal de Commerce de Nanterre a homologué l'accord de conciliation relatif à la reprise du groupe Urbania-Adyal par le fonds d'investissement Investors in Private Equity (IPE) de Philippe Nguyen. Cet accord a été signé sous l'égide du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) par l'ensemble des créanciers le 6 septembre 2010. Il permet de désendetter totalement les 105 sociétés opérationnelles qui sont reprises au groupe Urbania par un fonds dédie, Ulysse Investissement, géré par le groupe IPE. La direction a été confiée à Nicolas Jacquet, ENA, actuel directeur général de la Médiation du crédit aux entreprises.

Sur un total de créances de 441 millions d'euros, le montant des fonds des mandants non représentés (trésoreries des copropriétés gérées et loyers et dépôts de garantie encaissés pour des propriétaires bailleurs non présentes en banque) s'élève à 340 millions, soit nettement plus que la valeur du groupe, dont 196 pour la seule Société Générale, 60 pour Monte Paschi Banque, 62 pour Banque Française et 20 pour Fortis. Les autres créances sont de 101 millions sur 10 banques (financements de croissance externe). Les créanciers n'ont d'espoir de récupérer que 209 millions. Une procédure pénale pour abus de confiance serait toujours en cours.


Les banques, responsables et grandes perdantes de l'affaire Urbania



Comment a-t-on pu en arriver là ? Simplement parce qu'un groupe d'administration de biens comme Urbania, animé par un dirigeant - au moins pour certains - charismatique, et disposant d'une trésorerie - celle de ses clients - suffisamment importante pour susciter des convoitises, a su convaincre une ou deux banques non spécialisées, non pas de placer cette trésorerie à son profit ce qui est courant et légal malgré ce qu'on dit ici et là, mais d'effectuer ces placements hors de leur contrôle ! D'autres ont suivi comme cela arrive souvent. Et surtout, avec la complicité passive d'un garant lui-même dépendant, de les faire dans ses propres affaires, pour financer ses acquisitions ou ses recapitalisations, placements évidemment risqués ! Un manque de prudence incompréhensible lorsqu'on sait le luxe de précautions que ces mêmes établissements prennent lorsqu'il s'agit de faire un crédit à une PME...

Force est de constater que l'appât d'une trésorerie de centaines de millions d'euros est capable de faire sauter toutes les sécurités qui auraient dû normalement jouer, à commencer par la méfiance qu'aurait dû susciter ce que nous dénoncions dès 2002 (1) : un groupe constitué d'une nébuleuse de près de 200 sociétés et fonds d'investissement, sans comptes consolidés, et dont les liens capitalistiques n'étaient connus que d'une poignée de dirigeants ! "Too big to fail" ? L'expérience d'Enron a tôt fait de prouver le contraire. De surcroît, même pas un Arthur Andersen cette fois pour couvrir un réseau de locations-gérances masquant la consistance réelle des fonds de commerce, et un garant financier - la disposition d'une garantie financière est obligatoire pour ces professions - ne garantissant majoritairement que des cabinets Urbania ! Peu de chances en effet qu'une telle évaporation de trésorerie de clients ait pu être opérée avec un organisme de garantie comme la Caisse de garantie de la FNAIM ou la SOCAMAB, les deux grandes caisses de caution mutuelle de la profession des administrateurs de biens et syndics de copropriété...

Si la Société Générale est une banque trop généraliste pour être au fait des risques et tentations représentés par la profession de gérant locatif et syndic, on comprend mal que Monte Paschi, banque spécialisée ait pu tomber dans le piège ! On dit que la relation avec M. Moubayed était gérée directement au plus haut niveau...


Fonds de la clientèle : les sécurités qui n'ont pas fonctionné



Pourtant à la base aucune illégalité : rien dans la loi "Hoguet" du 2 janvier 1970 et son décret d'application du 20 juillet 1972, même modifiés à quelques reprises, ne fixe les caractéristiques des comptes bancaires sur lesquels les administrateurs de biens déposent les loyers perçus au nom de leurs clients propriétaires bailleurs, et les syndics l'argent avancé par leurs clients copropriétaires à leur copropriété pour sa gestion, comme le confirme Bernard Terrasse par ailleurs sur notre site (2), qui en tant que Directeur du Département des Professions Réglementées Immobilières de la Bred Banque Populaire, sait de quoi il parle... Des juristes, même éminents, citent l’article 55 du décret de 1972: faux, celui-ci ne concerne que les agents immobiliers ! L'article 70 impose certes d'ouvrir un compte spécial pour les fonds clientèle détenus par un administrateur de biens mais seulement en cas de retrait de la garantie financière par l'organisme qui la délivrait jusque là...

En réalité, la protection de l'argent des clients repose essentiellement sur deux sécurités :

- la vigilance de l'organisme qui délivre la garantie financière obligatoire, qui en général impose de ne pas mélanger les fonds des clients avec la trésorerie propre de l'administrateur, et de veiller à la "représentation des fonds", c'est à dire la disponibilité sous une forme sécurisée et liquide de fonds à hauteur des comptes créditeurs des clients,

- celle de la banque qui, dans un devoir de conseil et de prudence, lorsqu'elle autorise des placements de ces fonds, dont elle sait qu'ils appartiennent aux clients, doit au moins savoir sur quels supports ces placements sont effectués, sinon veiller à ce que ces placements ne soient pas risqués...


Le compte bancaire séparé pour les copropriétés : solution miracle ?



Les associations de consommateurs, à commencer par celle spécialisée sur la copropriété, l'ARC (Association des responsables de copropriété) réclament depuis des décennies qu'on rende obligatoire le dépôt des fonds des syndicats des copropriétaires sur des comptes bancaires propres à chaque syndicat et ouverts à leur nom et non à celui du syndic (le "compte séparé au nom du syndicat des copropriétaires") ; l'obligation de le proposer à peine de nullité du mandat du syndic - sanction gravissime - a été créé par une mise à jour de la loi du 10 juillet 1965 datant de 1985, l'instauration de ce type de compte en tant que mode normal de dépôt des fonds date de la loi "SRU" de 2000, mais il est toujours resté la possibilité pour les syndics d'obtenir des assemblées de copropriétaires une dérogation, et ils l'obtiennent pour près de 70% des copropriétés !

Grâce à l'affaire Urbania, les associations de copropriétaires sont en passe d'obtenir satisfaction : le projet de loi en préparation sur les syndics et la copropriété supprime définitivement la dérogation (voir notre article : Coups de massue en préparation sur les syndics de copropriété).

Est-ce pour autant une solution miracle ? Pas tout à fait, même si son principe semble désormais acquis, et que de nombreux syndics ont déjà opté pour les comptes séparés systématiques, ou s'apprêtent à tourner la page et s'adapter à la nouvelle donne, à commencer par Urbania sous sa nouvelle direction qui vient de l'annoncer solennellement...

D'une part la réforme ne concerne que la copropriété alors que la problématique de la sécurité des fonds mandants se pose aussi pour les propriétaires bailleurs qui confient la gestion de leurs biens à un administrateur de biens. Ensuite parce que les banques ne sont pas claires sur la différence de nature bancaire d'un vrai compte séparé au nom d'un syndicat de copropriétaires et d'un compte individualisé ouvert pour une copropriété au nom du syndic ! Paradoxalement, il s'avère difficile dans la pratique de s'assurer pour une copropriété qu'elle dispose d'un tel compte, même en obtenant copie de la convention d'ouverture de compte, le syndicat dans les actes se confondant souvent, par manque de rigueur et de connaissances des services juridiques des banques, avec le syndic qui le représente...

Mais aussi surtout parce le type de montage utilisé par Urbania pour mobiliser à son profit la trésorerie de la clientèle aurait pu aussi être mis en oeuvre avec des comptes "séparés". Il s'agit pour la banque qui veut s'attacher un gros pourvoyeur de trésorerie de lui permettre de constituer, en face d'une trésorerie déposée sur une multitude de comptes, des placements globaux à son profit au moyen de "comptes reflets", qui ne sont qu'un ou plusieurs comptes débiteurs sur lesquels ont été prélevés les fonds placés, et qui sont fusionnés en trésorerie et en valeur avec les comptes des clients.

Certes, les comptes "séparés" au nom des syndicats de copropriétaires ne doivent en principe pas être fusionnés avec des comptes au nom du syndic, et dans la pratique cette restriction est appliquée pour les cabinets de syndics de taille petite et moyenne. Pour eux donc les comptes séparés sont un véritable manque à gagner et ils devront probablement augmenter leurs honoraires pour le compenser. D'autant que, suivant la qualité de leur organisation informatique et les services qu'ils peuvent attendre chacun de leur banque, ils pourront au moins à court terme le temps de s'adapter, avoir des surcoûts réels de gestion comptable avec une multiplicité de comptes bancaires là où ils pouvaient fonctionner jusqu'ici qu'avec quelques comptes globaux...

Pour les plus gros en revanche, l'expérience a montré que des banques ferment les yeux, et elles continueront probablement à les fermer pour s'attacher les grands groupes, l'affaire Urbania montrant l'étendue des risques qu'elles sont prêtes à prendre dans ce but, aggravant ainsi la distorsion de concurrence préjudiciable aux indépendants...


Vrais et faux risques encourus par les copropriétaires



Les copropriétaires et clients d'Urbania ont-ils risqué de perdre leurs fonds ? En fait oui, mais pas forcément de la façon qu'on croit ! L'organisme délivrant la garantie financière d'Urbania, le Groupement français de caution, même incapable probablement de faire face aux sommes en jeu dues aux banques, était nécessairement réassuré. Du moins si les autorités de tutelle ont correctement fait leur travail.

Par ailleurs, il était en mesure théoriquement, sous réserve d'être plus rapide qu'elles, de bloquer toute velléité des banques de se servir sur les fonds des clients pour récupérer au moins une partie de leur créance. Là encore, contrairement à ce qui a été dit, y compris par des juristes éminents et même par certaines jurisprudences dans des affaires où la cause n'a pas été présenté comme il le faut, juridiquement elles le pouvaient, mais le garant dispose d'une arme redoutable si elle est utilisée avec célérité : la cessation de garantie et la mise en jeu de l'article 70 du décret de 1972 qui oblige la banque dans ce cas de verser immédiatement les fonds, biens, effets ou valeurs qu'elle détient pour les mandants à un compte d'où retraits ne peuvent être débloqués qu'avec la signature du garant. A noter que le garant est la banque elle-même, la tentation peut être grande de ne pas faire usage de cette arme...

Par contre, le vrai risque des clients est dans une déconfiture de l'administrateur de biens, et par voie de conséquence une désorganisation des services qui les laisserait notamment sans arrêtés de comptes à jour : dans ce cas, il est difficile de mettre en oeuvre la garantie financière dans la mesure où il faut pour cela être en mesure de prouver sa créance, justement par des comptes à jour...

Les copropriétés titulaires d'un "compte séparé" au nom du syndicat ont alors un avantage sur les autres : elles peuvent conserver leurs fonds qui sont à l'abri d'une liquidation de leur syndic, mais avec une limitation, celle de ne pas savoir quoi faire d'un solde bancaire sans une comptabilité permettant de les répartir ! Il est vrai que c'est un moindre mal !

En réalité, beaucoup dépend pour les clients et la sécurité de leurs fonds de la qualité de l'organisme de garantie. Les organismes de caution des grandes fédérations professionnelles assurent une vigilance qui aurait en principe dans le cas précis d'Urbania empêché ces dérapages. vis à vis de cabinets plus petits, leur intervention peut être trop tardive, mais ils offrent un meilleur répondant que des garants exotiques comme certaines compagnies d'assurance étrangères, venues il y a quelque temps sur ce marché.

Ce qui n'empêche les pouvoirs publics de rechercher les moyens de mieux sécuriser la gestion immobilière, notamment en réglementant les comptes bancaires utilisables pour le dépôt des fonds des administrateurs de biens comme le sont par exemple les comptes séquestres pour les clients des agents immobiliers. Avec des modes de placements encadrés, autant que possible au profit des clients eux-mêmes, ou de fonds destinés au financement des travaux d'amélioration du patrimoine, à condition que ces derniers acceptent en contrepartie de payer le vrai coût des prestations, notamment des syndics de copropriétés. Cela éviterait aux banques de profiter sans contrepartie d'une manne financière de plusieurs milliards d'euros, mais aussi de jouer sur les flous artistiques de la législation actuelle et de distordre la concurrence en privilégiant les grosses structures...

Ils n'en ont malheureusement pas encore pris le chemin...



(1) « la sécurité financière offerte par ces groupes n'est pas forcément à toute épreuve : si des groupes sous la houlette de la Caisse des Dépôts ou du Crédit Foncier n'inspirent pas de craintes excessives, l'affaire Enron devrait, notamment dans un domaine comme l'administration de biens où les marges et les résultats ne sont pas mirobolants, inciter à plus de prudence vis à vis de groupes à la croissance vertigineuse et aux structures opaques et compliquées ! Champion toutes catégories dans ce domaine : le groupe Vendôme Rome, avec ses 200 filiales aux comptes pas toujours publiés, ses fonds d'investissement mystérieux, ses entités de gestion fortement déficitaires et ses multiples ramifications internationales... » Extrait de notre article du 01/04/2002 : Ces grands groupes qui rachètent des cabinets (2ème partie) : et le client dans tout cela ?

voir également : Le groupe Vendôme Rome cède Atis Real à BNP Paribas ressource du 28/01/2004


(2) Tribune libre : Le projet de loi sur les syndics : un projet qui se trompe de loi ! par Bernard Terrasse Directeur du Département des Professions Réglementées Immobilières de la Bred Banque Populaire

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