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Immobilier : la France de propriétaires serait-elle en train de perdre les classes moyennes ? Le 19/2/2010
UI - Actus - 19/2/2010 - Immobilier : la France de propriétaires serait-elle en train de perdre les classes moyennes ?
Le slogan du président de la République ferait-il long feu ? Pas vraiment dans la cible de la politique en faveur de l'accession sociale, les classes moyennes, qui fournissaient les plus gros bataillons de propriétaires, peinent à suivre l'envolée des prix de l'immobilier et des charges associées, et un tiers d'entre elles décroche ! En effet, selon une étude réalisée pour le compte de la CFE-CGC (Confédération française de l'encadrement), 28,4 % des ménages de la classe moyenne inférieure ont perdu leur statut de propriétaire lors de leur dernier déménagement. La crise économique n'y est évidemment pas étrangère (pertes d'emplois, réductions d'horaires et d'heures supplémentaires), mais le tassement et la précarisation des revenus salariaux, combinés à l'augmentation des dépenses contraintes, paupérisent depuis plusieurs années des classes moyennes, par ailleurs bénéficiaires que d'une faible part des aides publiques ou fiscales...

Intitulée "Le logement, facteur d'éclatement des classes moyennes ?" (1), l'étude a été menée en 2009 auprès de 4.000 actifs âgés de moins de 65 ans par deux chercheurs de l'université Paris-Dauphine : François Cusin (Maître de conférences) et Claire Juillard (Chercheuse associée), avec la collaboration de Denis Burckel (Professeur associé). Elle révèle que le logement est désormais un élément de clivage au sein même des classes moyennes et de décrochage d'environ un tiers d'entre elles. "Plus précaire du fait de la faiblesse de son pouvoir d'achat et de la fragilisation de son parcours professionnel, la classe moyenne inférieure peut se trouver en situation de propriété captive", y est-il notamment indiqué.


Un groupe social menacé par le déclassement



Ayant pour principale caractéristique le fait de n’appartenir ni aux classes populaires ni à la fraction la plus riche de la société, représentant selon les approches de 40% à 60% de la population active, les classes moyennes ont pendant les "Trente glorieuses" été les principales bénéficiaires du développement économique et ont connu des parcours résidentiels ascendants "massivement marqués par l’amélioration des conditions de logement et l’accession à la propriété".

Après trois décennies de mutations économiques violentes, le corps social qu'elles constituaient est en train d'éclater et le logement, "autrefois garant et marqueur d’une distinction de classe", nous dit l'étude, devient un "puissant facteur de différenciation interne".

Des décalages croissants se constatent entre statut social et conditions matérielles de vie, créant un "malaise résidentiel" et de nombreuses frustrations et insatisfactions. Les difficultés d’accès à la propriété que rencontre de plus en plus une part de ménages des classes moyennes est évidemment une source majeure de frustration.

Le phénomène touche en premier lieu le tiers "inférieur" des classes moyennes, c’est-à-dire des professions intermédiaires, voire des cadres qui gagnent moins de 1.800 euros nets par mois. Cette tranche représente selon l'étude un gros tiers des classes moyennes et 17% de la population active.

Le risque de déclassement est durement ressenti par cette fraction des classes moyennes marquée par une nette sur-représentation des femmes, des jeunes, des célibataires et des familles mono-parentales. Les principales causes de décrochage trouvent leur explication dans la fragilisation des parcours professionnels, avec son lot de chômeurs, salariés précaires et travailleurs déclarant un temps partiel subi. La baisse du pouvoir d’achat aussi est en cause. Elle résulte de la faible progression des revenus - parfois même leur baisse sous l'effet de la crise économique (réductions d'horaires et suppression d'heures supplémentaires, disparition de primes ou baisse des rémunérations variables, etc.) - et de la hausse des dépenses contraintes, en particulier de l’augmentation du coût du logement, mais pas seulement.

"Sur le plan résidentiel comme sur le plan professionnel, l’ascenseur n’est pas seulement en panne, pour certains, il descend", indique l'étude.


Des catégories qui ne bénéficient pas de l'accession sociale



Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 42% seulement des membres des classes moyennes inférieures voient leurs revenus augmenter au moins "lentement", quand deux tiers les voient stagner (44%) ou diminuer (12%). 65% se sentent financièrement "un peu justes" et 19% se sentent "en difficulté". Au demeurant, aucune des tranches de classes moyennes ne voit ses revenus augmenter rapidement, pas plus que dans les autres catégories sociales à l'exception de celle des "hauts revenus" où ils sont 3,6%, et 17% à s'estimer "très à l'aise" !

C'est aussi dans les classes moyennes inférieures que l'on trouve un autre facteur de frustration : le plus fort taux d'écart entre la progression des carrières et celle des revenus...

Le malaise résidentiel des classes moyennes trouve un de ses symptômes les plus aigus dans les difficultés d’accès à la propriété que rencontre une part croissante de ménages de ces catégories. Après dix années de flambée des prix immobiliers, sans les aides qui bénéficient aux catégories à plus faibles revenus, le taux d'effort atteint 40%, soit à un niveau supérieur aux seuils tolérés par les banquiers pour l’accès à un prêt immobilier.

Or la propriété reste pour les classes moyennes un symbole de réussite. "C’est bien plus qu’un investissement patrimonial. C’est un véritable statut social" constatent les auteurs. Le phénomène nouveau est que la classe moyenne inférieure ne peut plus y accéder et "décroche". Elle va même jusqu’à partager le sort des classes populaires, avec son taux de propriété inférieur à 40%, contre respectivement 54% et 63% pour les classes moyennes intermédiaire et supérieure, juste un peu supérieur à celui des employés (36%) et des ouvriers (37%)...

Lorsqu’elle peut finalement accéder à la propriété, la classe moyenne inférieure peine à payer ses charges et ses remboursements de prêts. Jusqu'à ne plus pouvoir continuer ! Le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre révèle un taux de 28,4% de ménages confrontés à la perte du statut de propriétaire lors de leur dernier déménagement !


La perte du statut de propriétaire, signe et facteur de décrochage



Le phénomène est nouveau par son ampleur. Il révèle que la propriété n’est plus un aboutissement, ni même une garantie, et que les classes moyennes peuvent désormais connaître des parcours résidentiels descendants ! Avec ce taux record, la classe moyenne inférieure non seulement décroche de nouveau par rapport aux classes moyennes intermédiaire et supérieure, mais elle s’avère encore plus sensible que les classes populaires aux aléas de la vie, en l’occurrence à l’instabilité professionnelle et familiale qui, avec l’insuffisance des ressources et la perte d’emploi, sont au motif de la perte de la propriété. En effet, chez les employés, le taux de perte du statut de propriétaire n'est "que" de 23%, et chez les ouvriers de 22%...

Si l’on considère que l’aspiration à la propriété est plus forte encore chez les classes moyennes que parmi l’ensemble des Français, les difficultés rencontrées par une part croissante de leurs ménages révèlent un décalage entre les moyens et les aspirations. Le malaise résidentiel est d’autant plus symptomatique qu’il va jusqu’à fragiliser une part croissante des classes moyennes dans leur statut social même. Du coup, la classe moyenne inférieure se replie vers une offre réputée chère, le parc locatif privé, plutôt que vers le parc social, qu'elle répugne à envisager soit par méconnaissance de ses droits, soit parce que ce parc reste synonyme de déclassement. Il ne sont ainsi que 11% à aller dans le social là où les employés y vont à 18% et les ouvriers à 16%. Il est vrai que dans les zones de pénurie, il ne sont pas prioritaires...

Malgré leurs difficultés à se loger à la hauteur de leurs aspirations, les ménages les plus modestes des classes moyennes, par leur refus du HLM font, au prix d'un taux d'effort pour le logement supérieur à celui des autres catégories, des choix résidentiels qui leur permettent de maintenir une bonne distance vis-à-vis des classes populaires. Ils réaffirment ainsi ce qui, même dans la tourmente, continue de les différencier des classes populaires, à savoir leur statut social.


Un océan d'insatisfaction



Les classes moyennes ne manquent pas de motifs d’insatisfaction vis-à-vis de leur situation résidentielle : manque d’espace (cité par 25% des personnes interrogées dans l'étude), cherté de leur logement (16%), exposition au bruit (15%), quartier peu agréable (9%), inconfort de leur habitation (7%), difficultés d’accès aux transports (20%) et au lieu de travail (13%) ainsi qu’aux commerces (12%), aux espaces verts (11%) et aux écoles (6%), soit comme le dit l'étude à tout ce qui fait le quotidien...

Les membres des classes moyennes sont 40% à avoir le sentiment de ne pas avoir amélioré leurs conditions de logement lors de leur dernier déménagement et près de 10% à avoir connu une dégradation de ces conditions. 40% voudraient changer de logement à court ou moyen terme. Mais un sur quatre doute de pouvoir mener à bien son projet de déménagement. "C’est un vrai problème dans une société de classes moyennes précisément portée par l’aspiration au progrès", notent les auteurs.

Les obstacles au projet de déménagement que les classes moyennes citent sont le niveau élevé des prix immobiliers et des loyers d’abord (31%), les incertitudes liée à la situation professionnelle (15%), l’insuffisance des revenus (14%), les difficultés d’accès au crédit (12%) et les contraintes familiales (11%).



(1) CFE-CGC, janvier 2010 : Etude "Le logement, facteur d'éclatement des classes moyennes ?", par l’Université Paris-Dauphine, François Cusin et Claire Juillard avec la collaboration de Denis Burckel

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