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Charges locatives : vers une clarification et plus de flexibilité... Le 13/4/2006
UI - Actus - 13/4/2006 - Charges locatives : vers une clarification et plus de flexibilité...
La confusion créée par plusieurs arrêts de la Cour de cassation dans l'interprétation du décret de 1987, fixant la liste des charges que les propriétaires sont en droit de récupérer auprès de leurs locataires, serait en passe d'être levée : curieusement, alors que le problème aurait pu être traité par décret, c'est par acceptation de deux amendements suscités par l'USH (ex Union des HLM) à la loi "ENL" (engagement national pour le logement - projet de loi actuellement en deuxième lecture au Sénat) que le gouvernement a procédé ! Ils permettent au moins de remédier aux deux problèmes créateurs d'insécurité juridique pour les baillleurs : la récupérabilité du coût des nouveaux contrats d'entretien des ascenseurs, ainsi que de celui des prestations relatives à l'entretien des parties communes et l'élimination des ordures ménagères lorsqu'elles sont assurées dans le cadre d'un contrat d'entreprise. Un autre amendement permettrait de déroger au décret par accord collectif local...

Un décret mal rédigé...

Un décret du 26 août 1987 (1) régit depuis près de deux décennies dans le domaine des baux d'habitation la ventilation, parmi les charges réglées par les propriétaires, entre celles leur incombant (charges d'administration, de surveillance, d'assurance ou de travaux) et celles "récupérables" auprès des locataires (consommations, charges d'entretien, chauffage, etc.

Ce décret, pris dans la foulée de la loi "Méhaignerie" du 23 décembre 1986, mettait fin à une longue guerre de tranchées entre locataires et propriétaires, dont l'armistice avait été signé dans les années 70 avec les accords "Delmon" ; ayant fait l'unanimité, il avait été étendu à la virgule près au secteur HLM, qui faisait l'objet d'un décret distinct, le décret du 9 novembre 1982 ! Sans que personne ne se rende compte toutefois des conséquences d'un détail, la rédaction de son article 1 : "la liste des charges récupérables prévue à l'article 18 de la loi du 23 décembre 1986 susvisée figure en annexe au présent décret" ; autrement dit, tout ce qui n'y figure pas n'est strictement pas récupérable !

Une telle formulation supposait un "sans faute" dans celle des charges listées, qui évidemment ne s'est pas produit...

Les "bogues" ont commencé à apparaître avec un arrêt la Cour de cassation du 10 mars 1999, puis avec deux arrêts du 7 mai et du 30 octobre 2002, suivis de plusieurs autres, en 2004 et en 2005 (2) ; en réalité les deux premiers n'en étaient pas vraiment et mettaient en cause surtout la lecture, un peu rapide, qu'en avaient faite les bailleurs et administrateurs de biens : le premier faisait remarquer que le décret ne mentionnait pas dans le domaine de l'hygiène les frais de main d'oeuvre mais les seuls produits de désinsectisation et de désinfection, et le deuxième rappelait que la récupérabilité à hauteur de 75% du salaire et des charges sociales d'un gardien n'était possible que si celui-ci assure dans ses tâches contractuelles à la fois le nettoyage des parties communes et le service des ordures ménagères ; si au moins l'une des deux n'est pas assurée, aucune récupération de son salaire ne peut être effectuée !

C'est un peu "raide" s'il effectue au moins l'une des deux prestations, mais par contre logique lorsqu'il n'a qu'une fonction de surveillance et d'administration : ces deux aspects incombent naturellement au bailleur qui, en contrepartie du loyer qu'il perçoit, doit assurer la jouissance paisible du logement et par conséquent la délivrance des services collectifs et la sécurité...

Le troisième "bogue" décelé révèle par contre une véritable erreur de rédaction du décret : dans une lecture stricte du texte, la Cour de cassation met en cause carrément la récupérabilité des prestations relatives à l'entretien des parties communes et l'élimination des ordures ménagères lorsqu'elles sont assurées dans le cadre d'un contrat d'entreprise ! Avec au demeurant un raisonnement subtil mais inattaquable : l'arrêt fait remarquer que le décret, concernant l'entretien des parties communes, s'il admet (article 2a) qu'il "n'y a pas lieu de distinguer entre les services assurés par le bailleur en régie et les services assurés dans le cadre d'un contrat d'entreprise" et que "le coût des services assurés en régie inclut les dépenses de personnel d'encadrement technique", précise néanmoins que "lorsqu'il existe un contrat d'entreprise, le bailleur doit s'assurer que ce contrat distingue les dépenses récupérables et les autres dépenses" et par ailleurs indique que "lorsque l'entretien des parties communes et l'élimination des rejets sont assurés par un employé d'immeuble, les dépenses correspondant à sa rémunération et aux charges sociales et fiscales y afférent sont exigibles, en totalité, au titre des charges récupérables"...

Conclusion logique : dans une prestation d'entreprise : sont récupérables les salaires et charges sociales des employés effectuant le travail et ceux du personnel d'encadrement technique, mais pas les frais généraux de l'entreprise... ni son bénéfice, et encore moins la TVA ! Si cette dernière est facile à isoler, aucune facture ne fera jamais ressortir la contribution aux frais généraux et la marge bénéficiaire... Autant dire qu'aucune facture de nettoyage ou de service d'ordures ménagères n'est récupérable !

Le ministre de l'époque en charge du logement, Gilles de Robien s'en est ému et a fait établir par le président de l'ANAH, Philippe Pelletier, un rapport qui a paru sur le moment faire l'unanimité et qui préconisait quelques solutions simples pour remédier aux principaux défauts du décret. Malheureusement, la concertation engagée laborieusement sur la base de ce rapport dans le cadre de la Commission nationale de concertation des rapports locatifs n'a pas permis d'aboutir à un accord, et l'autorité politique n'a pas voulu trancher. Il est vrai que trois échéances électorales, suivies de deux changements de titulaire du portefeuille du logement ont quelque peu perturbé la continuité de l'action gouvernementale, ce qui a eu du mal à être compris dans le milieu des propriétaires et des professionnels de la gestion immobilière...


Les bailleurs dans l'illégalité

Du coup la situation créée est paradoxale : depuis 3 ans, les bailleurs qui voudraient se soumettre à ces jurisprudences devraient renoncer de récupérer jusqu'au tiers parfois des charges locatives ! Inutile de dire que peu ont changé leurs pratiques antérieures. Le ministère du logement a bien été conscient du problème puisqu'une disposition a été introduite dans la loi de programmation pour la cohésion sociale réduisant à 5 ans le délai de prescription pour les locataires qui voudraient réclamer le trop payé : auparavant ils pouvaient demander le remboursement des charges payées indûment sur 30 ans en arrière...

Mais même ainsi, l'information, qui était restée un temps confinée commence à se répandre et des actions de locataires, apparaissent, nécessairement couronnées de succès...


Le législateur à la rescousse

Après des mois sans réaction - le ministre délégué au logement et à la ville du gouvernement Raffarin III avait bien essayé de tirer le dossier de son enlisement mais il n'a pas été reconduit dans le gouvernement Villepin -, le nouveau ministre en charge du logement, Jean-Louis Borloo, a finalement accepté de se laisser forcer la main par l'USH (Union sociale pour l'habitat - ex-Union des HLM) : las d'attendre un décret ministériel peu opportun dans le climat politique existant depuis deux ans, et souffrant plus que d'autres de l'insécurité juridique créée par ces jurisprudences, les bailleurs sociaux ont décidé d'agir par la voie parlementaire, dans la brèche ouverte par l'immense chantier législatif de la loi "ENL" (engagement national pour le logement) ! Limité à 11 articles et des objectifs modestes dans sa première mouture, ce projet de loi a explosé au cours de ses passages successifs au Sénat et à l'Assemblée nationale, chaque lobby profitant d'un certain laisser-faire ministériel pour faire passer une kyrielle d'amendements au rapport souvent éloigné avec la thématique initiale...

Concernant les charges récupérables, deux amendements adoptés en première lecture reprennent les propositions du rapport Pelletier :

- le premier permet de revenir sur la jurisprudence de la Cour de cassation en prévoyant, tant dans la loi du 6 juillet 1989 que dans le Code de la construction et de l'habitation, que le coût des services assurés dans le cadre d'un contrat d'entreprise correspond, pour le calcul des charges récupérables, à la totalité de la dépense, toutes taxes comprises, acquittée par le bailleur ;

- le deuxième introduit la faculté de déroger à la liste des charges récupérables, fixée par décret, par la voie d'un accord collectif local qu'un bailleur peut conclure, en application de l'article 42 de la loi du 23 décembre 1986, avec une ou plusieurs associations de locataires portant sur tout ou partie de son patrimoine ; ces accords sont obligatoires dès lors qu'ils ont été conclus soit par une ou plusieurs associations regroupant au moins le tiers des locataires concernés, soit par une ou plusieurs associations regroupant au moins 20% des locataires concernés et affiliées à une organisation siégeant à la commission nationale de concertation, sauf s'ils ont été rejetés par écrit par un plus grand nombre de locataires dans un délai d'un mois à compter de leur notification individuelle par le bailleur aux locataires. A défaut, les bailleurs peuvent aussi proposer directement aux locataires des accords de même nature. Ces accords sont réputés applicables dès lors qu'ils ont été approuvés par écrit par la majorité des locataires, dans un délai d'un mois à compter de la réception de la notification individuelle par le bailleur...


Le cas des nouveaux contrats d'ascenseurs

Au problème créé par ces jurisprudences, s'ajoute depuis quelques mois une difficulté supplémentaire : la récupérabilité des nouveaux contrats d'entretien d'ascenseurs conclus en application des dispositions du décret du 9 septembre 2004, lui-même pris en application des dispositions relatives à la sécurité des ascenseurs de la loi du 2 juillet 2003 dite "Urbanisme et habitat". Les anciens contrats régis par l'arrêté du 11 mars 1977 doivent à compter du 30 septembre 2005 être remplacés au fur et à mesure de leur échéance avec de nouvelles clauses obligatoires et des obligations nouvelles pour l'ascensoriste ; un arrêté du 18 novembre 2004 (3) précise notamment que l'entretien des ascenseurs "comprend obligatoirement la réparation ou le remplacement des pièces défaillantes ou usées"...

Jusque là, les anciens contrats pouvaient être "simples" (sans remplacements de pièces) ou "complets" ; dans ce cas, un arrêté avait fixé à 73% la part de ces contrats récupérables auprès des locataires.

Introduit dans les mêmes conditions par l'USH, un amendement au projet de loi "ENL" rend récupérables, auprès des locataires soumis à la loi du 6 juillet 1989 et à ceux du parc social les dépenses effectuées par le bailleur dans le cadre d'un contrat d'entretien relatif aux ascenseurs répondant à la nouvelle réglementation. Il précise que sont récupérables les dépenses liées aux opérations et vérifications périodiques minimales et, parmi les opérations occasionnelles, la réparation et le remplacement de petites pièces présentant des signes d'usure excessive, ainsi que les interventions pour dégager les personnes bloquées en cabine et le dépannage et la remise en fonctionnement normal des appareils.

Une traduction détaillée de cet amendement, devra être faite dans le décret de 1987, et son application impliquera que les ascensoristes fassent ressortir dans leurs contrats et facturations le coût des prestations tenues pour récupérables, et celles, en fonction du "package" choisi par le propriétaire, qui ne le seront pas.

Les autres amendements devront également être traduits dans le décret de 1987, au terme d'une concertation dont l'issue n'est probablement pas pour demain ! En attendant leur adoption aura au moins l'avantage de bloquer l'application par les tribunaux de l'interprétation rigoriste donnée par la Cour de cassation au décret dans sa forme actuelle !



(1) décret n°87-713 du 26 août 1987

(2) Cass. 3ème Ch. civ. 10 mars 1999, n°97-10499
Cass. 3ème Ch. civ. 7 mai 2002, n°00-16268
Cass. 3ème Ch. civ. 30 octobre 2002, n°01-10617
Cass. 3ème Ch. civ., 24 mars 2004, n° 01-14439
Cass., 3ème Ch. civ., 01 juin 2005, n° 04-12137

(3) arrêté du 18 novembre 2004 relatif à l'entretien des installations d'ascenseurs

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