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Contrats nouvelles embauches et première embauche : pour les bailleurs sont-ils équivalents à des CDI ou à des CDD ? Le 25/1/2006
UI - Actus - 25/1/2006 - Contrats nouvelles embauches et première embauche : pour les bailleurs sont-ils équivalents à des CDI ou à des CDD ?
Premier ministre en tête, les promoteurs des CNE (contrats "nouvelles embauches"), lancés en août dernier, et maintenant des CPE (contrats "première embauche"), annoncé le 16 janvier, l'assurent : ces nouveaux contrats - deux de plus dans un Code du travail qui en compte près d'une vingtaine - sont des contrats à durée indéterminée (CDI) et non des contrats à durée déterminée (CDD), malgré la possibilité pour l'employeur de les rompre sans justification pendant une période de "consolidation" de deux ans ! Pour les bailleurs qui seront sollicités par des titulaires de tels contrats pour des locations comme pour les banques et établissements de crédit pour des prêts à la consommation ou pour l'accession à la propriété, la question n'est pas si simple : pendant deux ans, l'heureux bénéficiaire pourra être remercié à tout moment alors qu'un titulaire de CDD est au moins assuré en pratique de durer jusqu'au terme du contrat...

Un effet d'aubaine assuré

Novation importante dans le droit du travail français, le contrat "nouvelles embauches" (CNE) se présente comme un contrat à durée indéterminée, mais comporte une "période de consolidation" de deux ans pendant lequel l'employeur peut mettre un terme au contrat de travail sans avoir à passer par la procédure de licenciement et sans avoir à en justifier, avec en contrepartie pour le salarié une couverture renforcée du risque chômage. La rupture s'effectue avec un préavis croissant en fonction de l'ancienneté (de deux semaines pour une ancienneté inférieure à six mois à un mois pour une ancienneté comprise entre six mois et deux ans). Elle ouvre droit pour le salarié à une indemnité de 8% du montant total de la rémunération brute due depuis la conclusion de son contrat, exonérée d'impôt et charges sociales.

Le contrat "première embauche" annoncé par Dominique de Villepin dans une conférence de presse le 16 janvier procède de la même logique et sera cette fois réservé aux jeunes de moins de 26 ans ; il sera complété, selon les déclarations du premier ministre, pour tous les jeunes qui seront embauchés en contrat à durée indéterminée avant la fin de l’année, quelle que soit la nature du contrat à durée indéterminée, d'une exonération de charges patronales pour trois ans !

Le gouvernement qui se félicite d'un succès du CNE (280.000 contrats conclus depuis août 2005 selon les services du premier ministre) pourra à coup sûr le faire avec le CPE : permettant pendant deux ans à l'employeur de mettre un terme au contrat de travail comme bon lui semble, on peut aisément prévoir que les entreprises qui peuvent en bénéficier - entreprises employant jusqu'à 20 salariés pour le CNE, entreprises de plus de 20 salariés pour le CPE - ne vont pas se faire prier ! Savoir si les recrutements qui se font et se feront au moyen de ces contrats n'auraient pas eu lieu sans leur mise en place est une autre affaire : rien ne prouve pour le moment que le CNE ait conduit à une création nette d'emplois et le recul du chômage est pour le moment plus qu'expliqué par des raisons démographiques (le départ à la retraite des "papy boomers") et par les emplois aidés hors secteur marchand...

Le risque est, comme on le disait jadis à propos des monnaies d'argent et d'or, que "la mauvaise monnaie chasse la bonne", autrement dit que le CNE devienne la règle de toutes les embauches des "petites" PME, et le CPE celle de l'essentiel des recrutements de jeunes dans toutes les autres PME et grandes entreprises. Un sondage IFOP réalisé auprès de 300 dirigeants de TPE (très petites entreprises) ayant embauché 354 personnes en CPE, et diffusé le 10 janvier, est à cet égard plus que révélateur (1) : à la question "auriez-vous quand même embauché cette ou ces personnes sans l'existence de ce Contrat nouvelles embauches ?", 71% des chefs de très petites entreprises ayant eu recours à ce nouveau dispositif ont répondu par l'affirmative. Parmi eux, 31% l'auraient fait pour remplacer du personnel, et 40% pour créer un nouveau poste...

Mais il y a pire : il y a aussi le risque que les employeurs se mettent à pratiquer la technique du "salarié jetable", et qu'elles fassent usage systématiquement de la faculté de rupture pour avoir en permanence des salariés "remerciables" sans formalité, main d'oeuvre nécessairement plus docile que celle qui dispose d'un droit à n'être licenciée que pour motif "réel et sérieux" !

Risque virtuel ? Pas tant que cela quand on voit le nombre d'entreprises qui pourvoient des postes permanents au moyen de stagiaires de longue durée, à qui l'on fait miroiter une embauche en fin de stage et qui sont néanmoins remplacés systématiquement en fin de contrat. Or dans le cadre du CNE, le dispositif anti-fraude est des plus réduits : juste un délai de carence de trois mois à compter du jour de la rupture pendant la période de "consolidation" avant de pouvoir signer un nouveau contrat avec le même salarié, et aucune contrainte empêchant d'enchaîner des CNE avec des salariés différents !


Quel risque réel pour les bailleurs ?

Le bailleur qui se voit sollicité par un titulaire de CNE et demain de CPE se trouve, quoi qu'essaient de prétendre les promoteurs de ces nouveaux contrats, dans une situation d'incertitude pire qu'avec un CDD : en effet, le titulaire d'un CDD est, sauf faute lourde, assuré d'aller au moins jusqu'à la fin de son contrat, alors que le titulaire d'un de ces nouveaux contrats n'a pour horizon de certitude que la durée du préavis, qui ne dépasse pas un mois (quinze jours même à ce stade des annonces pour le CPE) !

Et le risque n'est pas théorique : dans le même sondage IFOP mentionné ci-dessus, 9% des employeurs indiquaient déjà ne pas avoir l'intention de garder le ou les salariés recrutés en CNE, et 48% ne pas savoir encore ce qu'ils allaient faire...

Certes, en cas de rupture dans les deux premières années, le salarié va toucher l'indemnité de rupture de 8% et bénéficier des allocations versées par le régime d'assurance chômage, dans les conditions de droit commun. Et s'il ne justifie pas de la condition d'activité préalable pour avoir droit à ces allocations (6 mois d'activité salariée au cours des 22 derniers mois), et qu'il remplit par ailleurs les autres conditions requises (perte involontaire d'emploi, aptitude au travail, recherche d'emploi sauf cas de dispense), le salarié dont le CNE est rompu bénéficie pendant un mois d'une allocation forfaitaire de 16,40 euros par jour le temps de retrouver un emploi, soit 492 euros maximum, versée par l'ASSEDIC dès lors qu'il justifie d'une période d'activité continue de 4 mois en CNE. Les heureux bénéficiaires des CPE auront quant à eux droit à 460 euros par mois pendant deux mois...

Tous devront en outre bénéficier d'actions d'accompagnement renforcé mises en œuvre par le service public de l'emploi et destinées à favoriser son retour à l'emploi...

Bref, on est malheureusement loin de l'eldorado chanté par le gouvernement, et en tous cas il est douteux que les bailleurs trouvent cela suffisant ! Contrairement aux banques qui, sur pression "amicale" de Bercy, peu avare d'actions aussi vertueuses que gratuites, se sont engagées par la voix de leur association professionnelle à considérer les CNE et CPE comme des contrats à durée indéterminée - engagement qui évidemment ne convainc personne : Le Parisien révélait le 20 janvier une note interne de la Diac, société financière de Renault, qui appelait ses cadres à traiter les titulaires de contrats nouvelle embauche comme s'ils étaient embauchés pour un contrat temporaire -, les organisations de professionnels ont annoncé la couleur : interrogé par l'Associated Press, le président de la FNAIM (Fédération nationale de l'immobilier) René Pallincourt n'a pas manqué d'exprimer les réticences, sinon des bailleurs, du moins des administrateurs de biens auxquels une bonne moitié d'entre eux a recours. "Il faut trouver une solution qui garantisse l'équilibre économique du dossier présenté par le locataire. C'est à l'étude avec les pouvoirs publics", a-t-il tenté de rassurer...

De fait, à défaut d'obtenir un engagement de caution d'un parent ou d'un proche aux revenus confortables, les bailleurs peuvent au moins se rabattre sur une garantie Loca-pass, accessible en principe à tous les salariés des entreprises et des organismes du secteur privé non agricole, qui versent ou non le 1% logement. Rappelons que pour les bailleurs du secteur privé "libre", la garantie Loca-pass équivaut à un engagement de caution solidaire pour le paiement du loyer et des charges d'une durée de 3 ans donnée au bailleur, couvrant au maximum 18 mois de loyers et de charges impayés (2).

Par contre, ils ne pourront pas compter sur les assurances loyers impayés : ceux qui y ont recours ou qui ont opté pour ce service auprès de leur gérant professionnel devront renoncer aux titulaires de CNE ou CPE ; soumettre un tel candidat à ce type de garantie, délivrée par des compagnies d'assurances privées, expose à un refus d'indemnisation en cas de sinistre, les assureurs étant en général prompts à soulever a posteriori tous les éléments de précarité d'un dossier de candidature pour se soustraire à la mise en oeuvre de la garantie !


Une prise de risques à doser au cas par cas...

De toutes façons, les propriétaires vont probablement devoir se faire une raison : vu la précarisation croissante des emplois, précarisation de fait par la multiplication des CDD et du recours à l'intérim ou aux stages, ou désormais organisée via les CNE et CPE, ceux qui continueront à exiger des situations stables, avec CDI et ancienneté dans l'entreprise risquent de voir leur clientèle potentielle se rétrécir, et avec la détente perceptible du marché locatif dans l'immobilier privé à loyers libres, connaître des vacances plus ou moins prolongées. Notamment là où se produisent les arrivages massifs de logements "Robien"...

Selon l'ACOSS (Agence centrale des organismes de sécurité sociale), qui regroupe les 103 URSSAF de métropole auprès desquelles les promesses d'embauche des employeurs sont collectées, entre septembre et décembre 2005, 75,4% des promesses d'embauches concernaient des contrats à durée déterminée, et 4,4% des CNE, le traditionnel CDI ne représentant plus que 20,2% des emplois proposés.

Rappelons que plus d'un tiers des actifs se trouve sans emploi stable et à temps complet, et que ce phénomène pénalise les tranches d'âge les plus jeunes qui sont la clientèle privilégiée des propriétaires (3) !



(1) enquête réalisée par téléphone du 23 au 29 décembre 2005 auprès d’un échantillon tiré aléatoirement à partir d’un fichier de 1.325 TPE ayant embauché au moins une personne en CNE, constitué par extraction de la base des 130.000 clients de FIDUCIAL - lire la synthèse

(2) voir sur site d'Aidologement.com la garantie "Loca-pass"

(3) Enquête sur l’emploi 2004 - INSEE Première N° 1009 - mars 2005


Voir aussi :

- Le Monde du 25 janvier Une politique de l'emploi inquiétante

- notre article d'août 2005 "Les bailleurs vont-ils vers une raréfaction des locataires solvables ?"

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