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Discriminations à la location : vers la tolérance zéro ? Le 7/11/2005
UI - Actus - 7/11/2005 - Discriminations à la location : vers la tolérance zéro ?
Alors que ce qu'il est convenu d'appeler l'opinion publique découvre avec les émeutes de banlieue l'ampleur du sentiment d'exclusion d'une grande partie de la population issue de l'immigration et de sa colère, la lutte contre la discrimination dans le logement s'organise peu à peu sur le plan institutionnel, avec la mise en place de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE), mais aussi et de façon plus spectaculaire sur le plan judiciaire, avec une rafale de condamnations d'agents immobiliers, administrateurs de biens, et propriétaires, ou sur le plan médiatique avec l'affaire du manuel de procédures internes de Foncia, n°1 de l'administration de biens en France, révélée par le Canard Enchaîné...

Un arsenal de lutte plusieurs fois renforcé

La discrimination est d'abord - qu'on se le dise ! - un délit lourdement condamné par l'article L 225-2 du Code pénal : trois ans d'emprisonnement et de 45.000 Euros d'amende ! L'article L 225-1 qualifie de discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques "à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs moeurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée". Elle est punissable lorsqu'elle consiste, notamment, "à refuser la fourniture d'un bien ou d'un service", "à refuser d'embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne" ou "à subordonner la fourniture d'un bien ou d'un service à une condition fondée sur l'un des éléments visés"...

Sans doute pour enfoncer le clou, la loi du 17 janvier 2002 dite "de modernisation sociale" a introduit dans la loi du 6 juillet 1989, qui régit les locations de logements destinés à l'habitation principale, des dispositions destinées à lutter contre les discriminations dans l'étude des candidatures à une location. Elle a notamment prévu qu'en cas de litige relatif à une discrimination, "la personne s'étant vu refuser la location d'un logement présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte", et qu' "au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée". A défaut, "le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles".

L'article 22-2, créé par la même loi, interdit même de demander, à l'appui de la demande de location, une photo d'identité...

Enfin, une loi du 30 décembre 2004 a créé une Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) afin notamment d'assurer le traitement des réclamations et la promotion de l’égalité entre les citoyens (1) ; elle peut être saisie directement, notamment par son site Internet, par toute personne s’estimant victime de discrimination, par une association de lutte contre la discrimination, par l’intermédiaire d’un parlementaire, ou se saisir d’office.

Installée en juin 2004 et confiée à la présidence de Louis Schweitzer, ancien président de Renault-Nissan, elle peut aussi proposer des réformes législatives, être consultée par le gouvernement, formuler des avis ou des recommandations et être invitée par les juridictions civiles, pénales et administratives à présenter ses observations dans le cadre d’affaires traitant de discriminations...


Actions judiciaires : agents immobiliers et administrateurs de biens en première ligne

Longtemps non poursuivie et pourtant de toute évidence omniprésente, la discrimination à la location a brusquement fait irruption dans les tribunaux correctionnels à partir de 2003-2004, après que des associations comme SOS Racisme ait entrepris des opérations de "testing" : elles consistent à "piéger" l'agent immobilier ou le propriétaire en lui envoyant coup sur coup des candidats visiblement issus de l'immigration mais aux ressources respectant largement les critères et qui se font pourtant refouler, puis des candidats sans signes distinctifs, aux ressources suffisantes mais plus justes, acceptés cette fois sans sourciller...

Résultat : 3.000 euros d'amende et des dommages et intérêts pour un propriétaire d'immeuble et une directrice d'agence immobilière à Toulouse, poursuivie quant à elle pour avoir au cours d’une conversation téléphonique enregistrée à son insu, déclaré "ne pas pouvoir louer à des gens de couleur" (2)

Autre affaire également à Toulouse : la gérante d'une autre agence immobilière toulousaine, dénoncée par une ancienne salariée, a été condamnée le 3 août 2005 à huit mois de prison avec sursis et 10.000 euros de dommages et intérêts pour avoir systématiquement tenu compte des desiderata de ses clients en portant des mentions "P.E." (pas d’étrangers) sur les fiches de location correspondantes et ne pas avoir soumis des offres de logement pendant des années à des candidats d'origine principalement maghrébine et d'Afrique noire.

Lors du procès, elle aurait reconnu avoir eu "l'idée de ce fonctionnement", mais elle avait affirmé avoir ainsi "rendu service" à des clients étrangers qui lui demandaient eux-mêmes de "faire le tri" dès le départ, pour ne pas se rendre à des visites de logements vouées à l'échec et perdre du temps... SOS Racisme, partie civile, entendait selon l'AFP poursuivre son combat sur cette affaire, et remonter aux 250 propriétaires qui ont demandé à voir leur offre de location marquée "P.E."...

Paris n'est pas en reste : cette fois c’est une employée d’une agence immobilière parisienne, relaxée en première instance, qui est condamnée en appel à une amende de 2.000 euros pour avoir refusé de louer un appartement à un chauffeur de taxi ivoirien, sous prétexte que le propriétaire ne voulait pas "louer aux gens de couleur" (3)...

La Cour d’appel s’est fondée sur le fait que la candidature du plaignant avait été "écartée a priori" sans avoir été "ni présentée au propriétaire ni même prise en compte" par l'agence, et que celui-ci "n'a été à aucun moment invité à justifier ses revenus"...

Par ailleurs, un jugement du tribunal correctionnel de Meaux a même condamné un agent immobilier à une amende de 1.500 euros pour avoir subordonné la location à l'exigence de la fourniture d'une caution de nationalité française par le candidat locataire de nationalité étrangère (4)

Par contre, deux employés d'une agence immobilière du 15e arrondissement de la capitale, accusés d'avoir refusé la location, en janvier 2001, d'un appartement à une personne d'origine africaine ont été finalement relaxés pour manque de preuves. Ce n’est cependant que partie remise, SOS Racisme, partie civile, ayant annoncé son intention de faire appel...

Notons aussi les poursuites contre la gérante d'un immeuble parisien qui avait refusé de louer un de ses appartements situé au 6ème étage à une avocate handicapée, au motif que le nombre d'étages était trop important pour une personne à la mobilité réduite, en cas de panne d'ascenseur ! Choquée par ce refus, la candidate locataire a porté plainte pour "discrimination à la fourniture d'un logement à raison d'un handicap". Devant la 17ème chambre du tribunal correctionnel de Paris, la gérante a expliqué que, si elle avait accepté, elle aurait "agi comme Ponce Pilate et [se serait] sentie responsable de non-assistance à personne en danger". Tel n’a pas été l’avis du tribunal (5), qui l'a condamnée une à une amende de 1.500 euros, dont 1.000 euros avec sursis, lui reprochant de "vouloir faire le bonheur de la partie civile malgré elle"...

Sans compter quatre mois de prison avec sursis et 10.000 euros d'amende infligés par le tribunal correctionnel de Grenoble, le 15 septembre 2004, à une propriétaire qui ne voulait pas vendre "à un arabe", dénoncée cette fois par un agent immobilier (ô tempora, ô mores...) !


Le n°1 de l'administration de biens épinglé

A côté, le péché pourrait paraître véniel : il a pourtant valu au groupe Foncia (260 agences, 166.000 logements locatifs gérés et 40.500 locations par an) une plainte de SOS Racisme et la "une" de la presse dans la foulée du Canard Enchaîné qui lui a consacré une demi-page sous le titre : "la préférence nationale fait toit chez Foncia" (6)...

L'hebdomadaire satirique paraissant le mercredi s'est visiblement procuré un manuel interne de procédures destiné aux agents de l'entreprise chargés des locations, dont un chapitre intitulé "la sélection du locataire" suggère un "profil" idéal du candidat et la possibilité d'effectuer une "sélection qualitative" : celle-ci est censée faire appel à la présentation, notamment vestimentaire, et au comportement du candidat, reflétant "une bonne éducation et droiture d'esprit", mais aussi à sa "nationalité" !

Et le manuel de préciser selon l'hebdomadaire qu' "en faisant abstraction de toute notion de ségrégation raciale ou confessionnelle à l'égard de quelque nationalité que ce soit, l'expérience [...] conduit à privilégier les dossiers des candidats français ayant leurs attaches professionnelles et familiales sur le territoire", évitant "les nombreux problèmes" liés "au mode de vie, de coutumes ou d'usages incompatibles avec la bonne harmonie de l'immeuble"...

Selon le groupe Foncia, embarrassé, le manuel date de 1990, et si l'on mesure ainsi le chemin parcouru dans les mentalités du grand public, celui-ci est probablement moins long dans celle de ses clients, les propriétaires des logements loués, que toute cette publicité rassurera probablement : certes, le manuel sera promptement retiré si ce n'est déjà fait, mais les agents de location auront été à bonne école, qui en l'occurrence est celle, il ne faut pas se leurrer, d'une bonne partie de la profession et des bailleurs privés. En tous cas, les affaires passées en justice le laissent malheureusement penser...



(1) loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) - voir le site de la HALDE


(2) CA Toulouse, 3ème Ch., 5 octobre 2004, n° 03/00593, arrêt confirmé par la Cour de cassation, Ch. crim., 7 juin 2005, n° 04-87354

(3) CA Paris CA Toulouse, 3ème Ch., 5 octobre 2004, n° 04/01089

(4) TGI Meaux, 3e ch., 7 janv. 2003, no 0112013

(5) TGI Paris, 17e ch., 28 juin 2005, n° 0402608235

(6) n°4436 2 novembre 2005

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