Les
discours sur le logement, laction publique même
sont trop souvent froids. On se berce d'indicateurs
de performances, heureuses pour certains, qui cachent
beaucoup de contre-performances, malheureuses pour beaucoup.
Toujours plus de transactions, des augmentations toujours
plus fortes. Ces discours, les décisions qui
en découlent oublient que pour une partie importante
de la population, le logement, loin de représenter
une chance ou un atout, alourdit leur vie, révèle
leur fragilité économique et sociale.
Certes, les plus démunis, qui peuvent avoir au
logement un rapport de non rapport, pour reprendre la
belle expression dHegel : ceux-là sont
sans abri, allant de solutions dappoint en trottoirs,
en quais, en bouche de métro. Les autres, apparemment
forts, salariés ou entrepreneurs indépendants,
supportent depuis dix ans maintenant, plus encore quau
cours des deux décennies précédentes,
des taux deffort croissants. Pourtant, en pleine
crise sanitaire, des experts soutiennent que les prix
de nos métropoles ne baisseront pas, que le marché
sera indifférent à ce qui se passe, et
ils ont raison : le marché nest pas moral.
Quoique : la réalité va simposer
brutalement à lui, et ce que le marché
ne fera pas par vertu - sajuster à la solvabilité
dégradée des ménages du fait du
ralentissement de léconomie -, il pourrait
bien le faire par calcul (la distinction est de Kant)
: les corrections de prix risquent fort de simposer
comme condition de la poursuite des transactions.
Le
marché le plus réactif aux conséquences
du coronavirus sera celui des locations. Le Président
de la République soi-même, quon na
pas souvent pris en flagrant délit de parler
de logement dans ses interventions publiques - sauf
pour disqualifier la propriété -, a pris
la mesure de limpact de la crise sanitaire sur
lacquittement des loyers. Il a annoncé
le rallongement de deux mois de la trêve hivernale,
période pendant laquelle un locataire devenu
occupant sans titre pour navoir pas payé
ses loyers, ne peut néanmoins être expulsé
du logement. Depuis la loi ALUR, commençant le
1er novembre de chaque année, elle sachève
le 31 mars, quinze jours plus quavant cette évolution
légale voulue par Cécile Duflot. On observera
dabord que les représentants des propriétaires,
qui avaient été vent debout contre la
mesure inspirée par la ministre écologiste,
nont pas réagi à la décision
présidentielle, preuve de leur humanité
pour ceux qui en douteraient. Car cest d'humanité
quil sagit, et pas seulement : de pragmatisme
aussi. Les plus pauvres, ceux qui sont engoncés
dans des situations financières graves, vont
être rapidement au bord de lasphyxie et
leur relogement sera plus compliqué encore dans
cette période où les collectivités
locales vont se battre sur dautres fronts.
La
conscience dEmmanuel Macron, si elle rassure aussi
sur sa sensibilité à la détresse
et fait un peu oublier le mépris des cinq euros
dAPL (vous vous rappelez ? Que changerait pour
les allocataires de recevoir cinq euros de moins ? La
mesure est toujours en vigueur dailleurs...),
nous fait surtout réfléchir. Oui, bien
au-delà des plus bas revenus, les ménages
français vont souffrir. En gros tous ceux qui
nont pas de gras, pas de réserve, cest-à-dire
la majorité, quel que soit leur statut. Voilà
qui redonne une actualité particulière
à la proposition de loi de Mickaël Nogal
et périme bien des arguments de ses opposants,
qui peut-être au demeurant vont mieux réaliser
laléa locatif et la nécessité
den préserver les bailleurs tout en permettant
une souplesse pour les locataires de bonne foi. Il nest
pas question dêtre indifférent aux
équilibres économiques des assureurs,
mais dans ces périodes, cest aux institutions
de prendre le relai des particuliers avant retour à
meilleure fortune. Oui, la généralisation
de lassurance contre les impayés par engagement
des administrateurs de biens dacquitter le loyer
est inévitable.
Une
autre nécessité simpose, celle de
moderniser les critères de sélection des
locataires. Un grand acteur du conseil en assurance
immobilière vient douvrir la voie et fera
des émules. Le groupe Bessé et sa filiale
spécialisée dans les couvertures assurantielles
pour le logement ont développé un logiciel
pour leurs clients gestionnaires professionnels, sous
le nom de Vertuloo (un jeu de mots à lorigine
de lappellation: si le feu est vert, la location
est acceptée). Il intègre les informations
relatives au candidat à une location et les analyse
avec des algorithmes intelligents. À la rusticité
en vigueur jusqualors, fondée sur le sacro-saint
CDI et le rapport arithmétique entre le montant
du loyer et les revenus, le logiciel substitue des critères
plus nombreux et plus modernes : la région de
vie et le bassin demploi, le secteur dactivité
et le métier, le reste à vivre sont par
exemple pris en compte. En outre, le logiciel est en
permanente évolution et va sadapter aux
circonstances. Car on va sapercevoir plus encore
dans cette période que les critères historiques
ne sont protecteurs ni pour le bailleur ni pour le locataire.
Typiquement, lemployé ou le cadre dune
activité obsolète licencié à
55 ans peut avoir de lourdes difficultés pour
retrouver un emploi, ou encore devoir passer à
temps partiel dans la situation que connaît le
pays. Les autres acteurs de lassurance contre
les impayés ont aussi commencé à
assouplir les critères, notamment en introduisant
la possibilité daccepter des CDD ou des
intérimaires, justement en regardant davantage
le secteur dactivité.
De
la crise que traversent la France et le monde, il viendra
deux bouleversements : dabord une attitude plus
solidaire dans lunivers du logement, auquel le
marché lui-même pourrait bien se rendre,
et le besoin de changer nos modes dappréciation
des risques, parce que nous vivons une réalité
plus mouvante que toutes les générations
antérieures en ont connu.
Par
Henry
Buzy-Cazaux, président de l'Institut
du Management des Services Immobiliers (IMSI)
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