Huit
personnes ont trouvé la mort dans leffondrement
de deux immeubles de la rue dAumale à
Marseille il y a quelques jours. Le procès
de Jean-Claude Gaudin, maire de la cité
phocéenne, est ouvert, comme celui des
élus qui lentourent. Il avait signé
un arrêté de péril, les pompiers
avait alerté très récemment
sur la gravité de la dégradation
du bâti de ces copropriétés
marquées par la pauvreté de leurs
occupants, et il a suffi dune pluie diluvienne
pour que le sol se dérobe sous ces châteaux
de cartes.
Passé
lémotion, on sent bien que les polémiques
se font jour les unes après les autres,
non sans arrière-pensées : le maire
préfèrerait soigner la vitrine touristique
du Vieux-Port et les beaux quartiers plutôt
que les zones déshéritées,
peut-être en considérant que ses
électeurs ne sont pas là. Le maire
dailleurs ne serait-il pas dépassé
et trop âgé ? Est-il devenu aveugle
et loin de la réalité de ses administrés?
LÉtat, qui heureusement avait présenté
un plan daction volontariste sur dix ans
pour réhabiliter près de 700 copropriétés
dégradées en France pendant dix
ans, prend aussi des coups, celui-ci et ceux qui
lont précédé. On na
étrangement pas entendu dattaque
contre les syndics de copropriété,
dhabitude vilipendés sans ménagement
quand quelque chose ne va pas dans les immeubles
collectifs : cela ne saurait tarder sans doute.
La
communauté immobilière, les pouvoirs
publics, la presse vont avoir bien du mal à
garder la tête froide, et pourtant la passion
ne mènera à rien. Il serait salutaire
quune mission parlementaire analyse sereinement,
à froid, la situation pour mesurer si les
outils juridiques sont suffisants pour appréhender
la gravité des immeubles concernés
et pour la traiter. Larsenal na cessé
de se renforcer depuis trente ans et il serait
indigne de prétendre que le législateur,
en cela éclairé par les organisations
professionnelles de gestionnaires et par les associations,
sest endormi ou sest voilé
la face. Ainsi, la loi du 24 mars 2014 a créé
une procédure dalerte aux termes
de laquelle le syndic doit signaler au tribunal
toute copropriété dès lors
que 25% de son budget -15% pour les copropriétés
de plus de 200 lots - est impayé, empêchant
le fonctionnement normal de limmeuble et
son entretien, dans le mois qui suit la clôture
des comptes. Ne parlons pas des arrêtés
dinsalubrité ou de péril,
que les maires peuvent décréter.
Le problème réside plutôt
dans la suite donnée au signalement ou
à la décision administrative...
Dévidence, à Marseille, cest
là que le bât a blessé.
Seulement
voilà, la suite est difficile à
mettre en uvre. Elle est de deux ordres
: la mairie doit se substituer aux copropriétaires
qui nont pas les moyens dengager les
travaux lourds indispensables à la remise
en état de limmeuble et que pour
cette raison ils ne votent dailleurs pas,
et elle doit reloger les ménages occupants,
quils soient copropriétaires ou locataires
de propriétaires investisseurs - éventuellement
marchands de sommeil dans les quartiers les plus
éprouvés par les plaies sociales
-. Sagissant des travaux, qui peuvent même
suivre une expropriation, encore faut-il que la
mairie en ait les moyens. Marseille, Lyon ou Paris
le peuvent-ils ? Pas si sûr. En tout cas,
cela se fera au détriment de grands projets
sans doute plus visibles et plus flatteurs pour
les élus, on le comprendra, sans leur donner
labsolution. Et rien ne dit que les mêmes
administrés qui la main sur le cur
aujourdhui condamnent Monsieur Gaudin ou
Madame Hidalgo, demain peut-être Monsieur
Collomb réélu maire de la capitale
des Gaules, ne se plaindront pas quil manque
des écoles, des antennes de police ou des
tournées de bus... Bref, la générosité
a souvent pour limite les sacrifices personnels
quils faut consentir et les élus
ne sont coupables que dajuster leur politique
sur le comportement de leurs habitants bien-pensants...
Un
reportage télévisé sur une
grande chaine publique mettait en exergue lautre
jour des immeubles délabrés de Saint-Étienne,
comparables à ceux de Marseille, et un
élu avouait sans ambages navoir pas
le budget pour payer les travaux à la place
de propriétaires privés sans moyens.
Pour quelques villes qui peuvent, combien en effet
ne peuvent en aucun cas faire le nécessaire
? Lexemple stéphanois est juste illustratif.
Et
puis il y a la question du relogement des individus
et des familles. Les mêmes raisons qui freinent
le concours de la force publique pour expulser
les locataires ayant fait lobjet dune
condamnation opèrent ici : où va-t-on
mettre les personnes concernées ? Le procès
en inhumanité suivra le procès en
passivité.
Enfin,
un mot des syndics. Ils sont confrontés
à une réalité moins heureuse
quon veut bien la décrire. Depuis
trente ans, les politiques successives, tous bords
confondus, ont visé à faire des
générations daccédants
à la propriété. On na
pas voulu voir que ceux qui sendettent au
maximum de leurs possibilités auront bien
du mal à faire face aux obligations de
travaux lourds, liés à la transition
énergétique certes, mais plus simplement
au maintien en bon état de leur bien collectif.
Les banques ne prennent pas en considération
cette donnée... et dailleurs, si
elles le faisaient vraiment, à qui prêteraient-elles
sinon aux plus favorisés, par les diplômes
ou la situation économique ? Lidéal
républicain dune France de propriétaires
fait-il bon ménage avec lobsolescence
technique des immeubles ? Néanmoins, les
syndics, dans leur majorité, ne négligent
pas de contenir les charges pour resolvabiliser
les copropriétaires. Ils manquent sûrement
de deux aptitudes : la capacité à
projeter leurs mandants sur le moyen terme, avec
des plans et des programmes à part entière,
et la connaissance de tous les leviers de redressement.
Le
premier défaut se corrige lentement. Le
législateur a doté les syndics doutils,
tels que le diagnostic global de limmeuble,
le plan pluriannuel de travaux ou encore le fonds
de travaux, et ils sen servent de mieux
en mieux. Dans les écoles dimmobilier,
on forme des femmes et des hommes qui simaginent
davantage en gestionnaire de patrimoine collectif
quen soutiers du quotidien. Enfin, lassociation
QualiSR qui promeut en quelque sorte un métier
dans le métier, celui de syndic de redressement,
aura fait franchir aux syndics un pas considérable
: accepter lidée que la fragilité
est consubstantielle des copropriétés,
fussent-elles bourgeoises, et quil faut
sapproprier des compétences particulières
pour savoir y réagir, anticiper et soigner.
On voit bien quil faut se garder de simplifier
la question qui nous saute au visage, crue comme
la mort de ceux qui lont trouvée
dans les deux immeubles marseillais. Histoire
davancer et de ne pas se perdre en stigmatisations.
Par
Henry
Buzy-Cazaux, président de l'Institut
du Management des Services Immobiliers (IMSI)
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